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CHAPITRE 2 : MALADIES MORALES ET LEUR GUERISON

1) Les malades physiques perçoivent l'amer comme doux et le doux, comme amer. Certains malades n'ont d'appétit et d'envie que pour des articles impropres à la consommation tels que le sable et le charbon, et haïssent au contraire les bons aliments comme le pain et la viande : tout dépend de la gravité de la maladie.

Ainsi les hommes dont l'âme est malade désirent et aiment les mauvaises passions et dédaignent la voie du bien qu'ils n'ont pas la force d'emprunter et que leur maladie leur rend très pénible.

Voilà ce que le prophète Isaïe déclare à propos des gens de cette catégorie: « Malheur à ceux qui nomment le mal bien et le bien mal, qui changent les ténèbres pour lumière et la lumière en ténèbres, qui changent l'amer en doux et le doux en amer». (Isaïe 5,20)

Et c'est à leur sujet  que l'Écriture déclare : « Ils abandonnent les chemins droits pour suivre des routes ténébreuses. » (Proverbes 2, 13)

Quel est le recours pour les maladies de l'âme ? Que celui qui en souffre se rende auprès des Sages qui sont les médecins des âmes et qui guériront son mal en lui enseignant les dispositions morales grâce auxquelles il sera remis dans le droit chemin.

Quant à ceux qui reconnaissent en eux les mauvaises inclinations et ne vont pas trouver les Sages pour se faire soigner, Salomon a dit d'eux : « Sagesse et morale excitent le dédain des sots. » (Proverbes 1, 7)

2) Comment s'opère leur guérison?                                                                
Au personnage coléreux, nos Sages prescrivent de se contraindre à rester impassible même sous les injures et les coups, et ils lui font
pratiquer cet exercice assez longtemps, pour que la colère soit éradiquée de son cœur.

L'orgueilleux s'imposera des attitudes qui feront de lui un objet de grand mépris.

Il occupera la place la moins honorable de toutes, portera des habits faits de haillons qui inspirent le mépris de ceux qui en sont revêtus, ou s'imposera d'autres conduites de ce genre, jusqu'à ce que son orgueil ait été déraciné et qu'il soit revenu à la voie moyenne, qui est la bonne qu'il s'efforcera de suivre, toute sa vie.

Il agira de la  même façon pour traiter tous les autres comportements moraux. S'il se trouve avoir dévié vers une position extrême, il s'en écartera vers la position opposée où il se maintiendra longtemps jusqu'à revenir vers la bonne voie, c'est-à-dire la voie moyenne qui existe pour chaque disposition de l'âme.

3)  Mais il est des dispositions de l'âme pour lesquelles la voie moyenne est interdite à l'homme qui s'en éloignera en passant d'un extrême à l'extrême opposé. Tel est le cas de l'orgueil. Pour être dans la bonne voie, l'homme ne doit pas, en effet, se contenter d'être modeste. Il lui faut avoir un esprit humilié et une âme mortifiée à l'extrême.

Voilà la raison pour laquelle il est dit de Moïse, notre Maître, qu'il était « très modeste » (Exode 13,2), et non pas « modeste » seule­ment.

Et c'est pourquoi les Sages ont prescrit : « Sois humble, très humble » (Avot 4, 4) et qu'ils ont ajouté: « Tout homme qui enfle d'orgueil son cœur renie Dieu. » (Sota 4b) comme il est dit : « Peut-être que ton cœur s'enorgueillira-t-il, et tu oublieras Hachem ton D.ieu. » (Deutéronome 8, 14).  

Les sages ont encore dit : «Quiconque possède un caractère vaniteux, si peu soit-il, tombe sous le coup d'un anathème. » (Sota 5, 1)

Il en va de même pour la colère. C'est un très grand défaut dont il convient à l'homme de s'éloigner jusqu'à l'extrême opposé. Il s'accoutumera à ne pas s'irriter, même pour une cause légitime. S'il désire inspirer de la crainte à ses enfants et à sa famille ou à la communauté qu'il préside, et qu'il veuille s'irriter contre eux pour les obliger à s'amender, il manifestera en leur présence sa colère afin de les corriger, tout en conservant au fond de lui-même un esprit calme, comme un acteur qui joue le rôle d'un homme animé de colère  sans  vraiment l'éprouver.

Les Sages des temps anciens ont dit: « S'irriter équivaut à pratiquer l'idolâtrie. » (Zohar Béréchit 2, 16)

 Ils ajoutaient aussi : « Tout homme colérique, s'il est savant, sa science  le quittera, et s'il est prophète, son don de prophétie disparaît.  » (Pessahim  66 b)

« La vie du colérique n'est pas une vie. » (Pessa'him 113 b)

C'est pourquoi ils ont prescrit de fuir la colère au point de savoir rester impassible même en présence de faits irritants. Et c'est là, la bonne conduite à adopter.

Quant à la conduite des justes la voici : on les rabaisse, mais eux ne rabaissent personne, ils entendent des propos injurieux à leur égard  sans y  répondre. Ils agissent ainsi pour l'amour de D.ieu et accueillent joyeusement les souffrances et c'est d'eux que par le verset qui déclare: « Et ceux qui L'ai­ment rayonneront  comme le soleil dans sa gloire. » (Juges 5, 31)

4) On se taira toujours le plus possible et on ne rompra le silence que pour prononcer des propos de sagesse ou ceux qu'exigent les nécessités de la vie physique. On a dit de Rav, qui fut l'élève de  Rabbi Yéhouda le Saint, qu'il n'avait jamais tenu de propos inutiles alors que ceux-ci constituent les conversations de la plupart des hommes. Même s'agissant des nécessités du corps, on n'abondera pas en paroles. Les Sages ont dit à ce sujet : « Celui qui parle trop est enclin à fauter. Je n'ai rien trouvé de meilleur pour le corps que le silence.» (Avot 1, 17)

Quant aux paroles intéressant la Torah et la sagesse, elles seront brèves elles aussi : on dira peu de mots, mais riches de sens. Et c'est là ce que les sages ont recommandé lorsqu'ils ont dit : «Un maître enseignera  toujours à ses élèves en utilisant la voie la plus courte. »(Pessahim 3 b)

Au contraire signifier peu de chose en beaucoup de paroles est le propre de la sottise, dont il est question dans le verset suivant: «Car les songes naissent de l'abondance des soucis. Et la voix du sot se reconnaît  à l'abondance de ses paroles.» (Ecclésiaste 5, 2)

 5) Le silence est le rempart de la sagesse. C'est pourquoi on ne répondra pas avec précipitation et l'on n'usera point de trop de paroles. A ses élèves, on enseignera avec douceur et calme sans cris ni verbiage. Et c'est ce qu'entend le roi Salomon lorsqu'il déclare : « Les paroles des sages dites avec douceur sont mieux écoutées que les cris d'un souverain éclatant parmi les sots dans le calme» (Ecclésiaste 9, 17)

6)  On ne devra ni flatter ni enjôler par ses paroles. On ne dira pas une chose en pensant à une autre, mais on sera sincère   et l'on conformera ses paroles à ses pensées. On ne leurrera pas les gens, même s'agissant d'étrangers. Comment cela? On ne vendra pas à un étranger la chair d'une bête morte naturellement en la faisant passer pour la chair d'une bête abattue,  ni des chaussures faites avec le cuir d'une bête morte en les donnant pour des chaussures faites avec le cuir d'une bête abattue. On ne pressera pas son prochain
d'accepter une invitation à dîner alors qu'on est sûr qu'il n'acceptera pas, on ne multipliera pas des offres de cadeaux pour l'honorer sachant qu'il ne les acceptera pas. On n'ouvrira pas des jarres de vin pour les besoins de son commerce tout en faisant croire à
l'hôte que c'est pour l'honorer. L'on ne pratiquera aucune tromperie de ce genre : il est interdit de proférer ne fût-ce qu'un seul mot qui soit enjôlement ou leurre, mais on aura une langue véridique, un esprit droit, un cœur pur de toute malice et perfidie.

7)   On ne sera ni railleur ni plaisant, pas davantage  une personne triste et chagrine, mais bien un homme joyeux. Selon nos Sages:

« La raillerie et la légèreté conduisent l'homme au libertinage » (Avot 3, 13)

  Voilà pourquoi ils ont prescrit de ne pas s'aban­donner sans frein à la pétulance, ni d'être triste ou morose à plaisir, mais de faire à chacun bon visage. Dans la même optique, on se gardera de convoiter ni d'être avide de richesses matérielles, mais on ne se livrera ni à la paresse ni à l'oisiveté. L'on fera preuve de désintéressement : on restreindra ses affaires pour s'affairer à la Torah  et l'on se contentera du peu de biens matériels qui nous est dévolu.

 On ne se montrera ni querelleur, ni envieux, ni concupiscent, ni avide d'honneurs, car comme les Sages l'ont dit : « L'envie, la volupté et l'ambition arrachent l'homme de ce monde». ) Avot 4, 21)

 Le principe général à retenir, est de se maintenir dans la mesure moyenne que comporte chaque attitude morale de sorte à les placer toutes dans le juste milieu. C'est là ce que le roi Salomon  déclare : « Equilibre le chemin de tes pieds, alors toutes tes voies seront  droites »

CHAPITRE 7 – DE LA MÉDISANCE ET DE LA CALOMNIE, DE LA RANCUNE ET DE LA VENGEANCE

1) Quiconque espionne son prochain pour rapporter ce qu'il a dit ou fait, transgresse une interdiction de la Loi. L'Écriture, en effet, déclare : «Ne va point colportant le mal parmi les tiens» (Lévitique  19, 16). Bien que cette transgression ne soit pas sanctionnée de la peine de flagellation, elle constitue une faute très grave qui provoque la mort de nombreux enfants d'Israël.
C'est pourquoi l'interdiction citée est aussitôt complétée comme suit : « Ne sois pas indifférent au danger de ton prochain »   (ibid.). Souve­nons-nous de ce qu'il arriva à Doég l'Édomite.


2) Qu'est-ce qu'un colporteur de paroles ? C'est une personne qui va d'un homme à un autre en rapportant à l'un les propos du second   : « Voici, dit-elle, le langage qu'a tenu un tel. De tel autre, j'ai entendu dire qu'il s'est exprimé de cette manière-ci ou là à ton sujet. »
Bien qu'il rapporte la vérité le colporteur de paroles n'en détruit pas moins le monde.

Il existe une autre faute qui relève de la défense de « propager des bruits contre son prochain » tout en étant infiniment plus grave que celle qui vient d'être analysée : c'est la médisance (lachone hara'). S'en rend coupable celui dont les paroles visent, même si elles sont véridiques, à déshonorer le prochain. Si ces imputations sont mensongères, il s'agit d'un calomniateur. Quant au diffamateur, c'est l'indi­vidu qui passe son temps à répandre des paroles de ce genre :

 « C'est de telle ou telle sorte qu'agit un tel. Il descend de gens qui étaient ceci, qui étaient cela; je lui ai entendu imputer ceci et puis ceci encore », tous propos qui tendent à le couvrir d'ignominie. C'est du diffa­mateur que l'Écriture déclare :

«Que D.ieu retranche  toutes les langues mielleuses, les lèvres qui s'expriment avec arrogance.»  Psaumes (12, 4.)


3) Les Sages ont dit: trois transgressions attirent le châti­ment sur l'homme dans ce monde et l'excluent du monde à venir.

Ce sont l'idolâtrie, les unions illicites, l'effusion de sang. Mais la médisance (lachone hara') est aussi grave que toutes les trois ensemble. Voici ce que les Sages ont dit encore : Quiconque s'adonne à la médisance,  peut être considéré comme reniant Dieu, comme il est dit:«Ceux qui disent :''Par notre langue nous triomphons, nos lèvres sont notre force : qui serait notre maître ?» Psaumes (12, 5.)

Nos Sages ont dit par ailleurs la médisance (lachone hara') tue trois personnes : celui qui propage les paroles malicieuses, celui qui accepte de les entendre, celui dont on parle, mais elle provoque la perte de celui qui accepte de les entendre plus désastreusement que celui qui les rapporte.


4) Il y a aussi des paroles qui, sans être exactement de la médisance (lachone hara')  en sont comme  la poussière de médisance.  Comment? Celui qui dit : «Qui peut prédire d'un tel qu'il serait comme le voici à présent !» ou «Passons un tel sous silence ! Je ne désire pas publier ce qu'il lui est advenu, ni ce qui s'est passé ! » ou d'autres paroles du même genre.

De même, quiconque parle favorablement de son prochain en présence de gens qui n'aiment pas cette per­sonne et que de tels propos vont inciter à en dire du mal, commet, lui aussi, commet une faute qui mérite d'être qualifiée de poussière de médisance (lachone hara'). Et c'est justement à propos d'un tel procédé que Salomon a dit : «Assourdir de grand matin son prochain par de bruyants saluts, c'est comme si on lui disait des injures.» (Proverbes 27, 14.)

Car c'est en disant du bien de lui, qu'il est arrivé à en faire dire du mal.

De même, c'est à celui qui profère des paroles de médisance, en manière de plaisanterie   ou  la légère, comme pour bien marquer qu'il n'y met point de haine, que Salomon fait allusion en ces termes : «Comme un dément qui lance des brandons, des flèches meurtrières, ainsi fait l'homme qui dupe son prochain et dit: Mais je plaisantais» (Proverbes 26, 18-19.)

Commet une faute analogue celui qui profère des paroles de médisance par tromperie, c'est-à-dire, en affectant de parler en toute innocence et en ayant l'air d'ignorer que les propos qu'il vient de tenir relèvent de la médisance. En cas de protestation, il affirmera qu'il n'avait pas conscience d'avoir mis en cause la conduite de la personne en question, ni d'avoir proféré des paroles de médisance.


5) Tenir des propos de médisance (lachone hara')  en présence de la victime ou hors de sa présence, c'est commettre exactement la même faute.

Font partie de la médisance (lachone hara') les paroles susceptibles si elles viennent à s'ébruiter, de causer un préjudice au corps ou aux biens du prochain, ou seulement de le plonger dans l'angoisse ou la terreur. En revanche, si ces propos ont été tenus en présence de trois personnes, l'affaire est considérée comme étant de noto­riété publique et si l'un des trois auditeurs la colporte, il ne se rend nullement coupable de médisance (lachone hara'), à condition toute­fois qu'il n'ait pas eu l'intention d'en propager la rumeur et d'en accroître la diffusion.


6) Tous ces auteurs médisance (lachone hara')  entrent dans la catégorie des personnes dans le voisinage desquels il est interdit de résider et que, à plus forte raison, on ne doit pas fréquenter ni écouter. Nos ancêtres n'ont été condamnés dans le désert que pour la médisance (lachone hara').


7) Qui se venge de son prochain transgresse une interdiction de la Loi. L'Écriture, en effet, déclare : « Tu ne te vengeras pas » (Lévitique, 19, 18). Bien que cette transgression n'entraîne pas la flagellation, l'esprit de vengeance est un défaut infiniment grave. Au contraire, il sied à l'homme de passer outre de tous les sujets  de ce bas monde, car les sages savent que tout n'est ici bas que vanité et futilité et que rien ne mérite de susciter aucune vengeance.

Comment caractériser la vengeance? Supposons que quel­qu'un demande à son prochain de lui prêter sa hache et qu'il en essuie un refus. Si le lendemain le voisin peu complaisant est à son tour contraint d'emprunter une hache à la personne à laquelle il avait refusé de prêter la sienne et que celle-ci lui réponde : «Je ne te la prête pas comme tu ne m'as pas prêté la tienne quand je te l'avais demandée», l'auteur de ces paroles est un vindicatif. Au contraire, la conduite louable est dans ce cas de prêter l'outil de bon cœur et de ne pas rendre la pareille à l'emprunteur qui s'était montré peu serviable. Il est facile de trouver d'autres exemples, mais voici les paroles que ses vertus morales inspiraient à David : «Ai-je rendu la pareille à qui m'a fait du mal, et dépouillé qui m'a pris en haine sans motif? (Psaumes 7, 5)


8) Celui qui garde rancune à son prochain transgresse lui aussi une interdiction de la Loi, comme il est dit: « Tu ne garderas pas rancune envers les fils de ton peuple » (Lévitique 19, 18).

Comment caractériser la rancune ? Supposons que Réouven dise à Chimon : « Loue-moi cette maison » ou « prête-moi ce bœuf » et que Simon refuse. Si quelque temps après Chimon vient chez Réouven, qu'il cherche à en obtenir une location ou un prêt et que Réouven lui dise : « Tiens, moi je t'accorde ce prêt, je ne fais pas comme toi et je ne te rends pas la monnaie de ta pièce », l'auteur de ces paroles transgresse l'interdiction de garder rancune.

Au contraire, la conduite louable est d'effacer de son cœur le mauvais procédé, loin d'en conserver le ressentiment. En effet, aussi longtemps que l'on ressent l'offense et qu'on en conserve la mémoire, on risque d'être induit à en tirer vengeance. C'est pourquoi la Loi s'oppose à la rancune au point d'exiger qu'on efface de son cœur tout grief et qu'on en bannisse totalement la mémoire. Voilà, face à la vengeance et à la rancune, la juste disposition morale grâce à laquelle subsistent la civilisation et le commerce mutuel des hommes.