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tampon kosher

POURQUOI FAUT-IL MANGER CACHER?

Voici, après le vol et l’inconduite, la faute qui vient en troisième place : la transgression des lois alimentaires, qu’il s’agisse de viande ou de mélanges défendus, du mélange lait et viande, de la graisse défendue, du sang, d’aliments préparés par un non-juif, des ustensiles de cuisine, du vin destiné au culte idolâtre ou récolté par un païen.

Pour être intègre au regard de cette obéissance rituelle, il faut une attention minutieuse, un grand effort de volonté, en raison de notre désir de mets succulents et interdits, aussi bien qu’en raison des frais supplémentaires qu’impose la cuisine rituelle. Or, les détails de ces lois nombreux et variés, sont soigneusement expliqués dans livres des casuistes.

S’accorder des facilités là où les Docteurs exigent la sévérité revient à se perdre soi-même. Dans le commentaire du Lévitique nous lisons à propos du verset : « Ne vous souillez pas par elles, vous en contracteriez la souillure. » (Lévitique 11, 43)

« Si vous touchez à leur souillure, elle se communiquera à vous. »(Midrach Sifra)

Les aliments interdits introduisent, en effet, positivement souillure dans le cœur et l’âme de l’homme au point d’en chas­ser et d’en éloigner la sainteté divine.

Commentant le même verset, le Talmud dit : « Le péché bouche pour ainsi dire le cœur de lhomme. Il en chasse la connaissance véritable et l’esprit de sagesse que D.ieu donne à ses pieux serviteurs.»(Yoma 39 a)

« Car c’est D.ieu qui dispense la Sagesse . » (Proverbes 2, 6)

Aussi l’homme devient-il, dans cet état, semblable à l’animal, prisonnier de la matière, plongé dans les plaisirs grossiers de ce monde.

Les défenses alimentaires sont à cet égard plus importantes encore que les autres, car l’aliment défendu, pénétrant dans le corps de l’homme, y devient la chair de sa chair.

Les animaux impurs, les bêtes répugnantes ne sont pas seuls défendus : la viande décla­rée impropre à la consommation, bien qu’elle provienne d’une bête pure, entraîne la même souillure. A propos du verset : « Pour distinguer le pur de l’impur» (Lévitique 11, 46), les Sages expliquent : «Il n’était évidemment pas utile de te dire de distinguer une vache d’un âne. »

Sur quoi porte donc la distinction ? Sur ce qui est pur et impur pour toi, lorsqu’il s’agit d’un cas délicat d’abattage rituel, où la décision dépend de ï épaisseur d’un cheveu. » ». (Midrach Sifra)

Cette dernière expression, mise par eux en fin de phrase, n’a pas d’autre but que de te rendre sensible l’essence mystérieuse de l’ordre : il n’y a, vois-tu, que l’épaisseur d’un cheveu entre le pur et l’impur.

Aussi, pour peu qu’un homme ait un grain de bon sens, il assimilera les mets prohibés à des poisons ou à des mets empoisonnés.

Est-ce que, dans un cas de ce genre, un homme serait assez insouciant pour en manger? Il est bien évident qu’aussi longtemps qu’il subsisterait en lui quelque doute ou même le plus petit soupçon, il s’abstiendrait d’en manger. S’il n’y prenait pas garde, on le considérerait comme fou.

Or les mets défendus constituent, nous l’avons déjà expliqué, un véritable poison pour le cœur et l’âme. Quel homme doué de raison irait donc, en cas de doute, faire bon marché d’une défense alimentaire? N’est-ce pas à ce sujet qu’il a été dit :

«Tu t’enfonceras un couteau dans la gorge, si tu te comportes en glouton » ? ( Proverbes 23,2)

Rabbi Hayim Lussato, Messilate Yécharim

Chapitre 26 – De la vertu de la sainteté

Traduit du Messilate Yécharim (Le sentier de rectitude) de Rabbi Moché ‘Hayim Luzzato

La sainteté se présente à nous sous  un double aspect : aspect d’exercice volontaire et d’effort au début, aspect de récom­pense céleste et de don gratuit à son couronnement. En d’autres termes, l’homme commence par se sanctifier lui-même et reçoit, en fin de compte, la sanctification d’En-Haut.

C’est ce qu’ont enseigné nos Sages. « Si l’homme se sancti­fie quelque peu, il se voit sanctifié encore bien davantage ; se sanctifie-t-il ici-bas, il reçoit la sanctification d’En-Haut ». (Yoma 39 a)

En quoi consiste son effort ? A se séparer et à se déraciner entièrement du monde matériel pour s’attacher constamment, à toute heure et à tout instant, à D.ieu. C’est la raison pour laquelle les prophètes sont appelés anges, ainsi qu’il est dit au sujet d’Aaron :

«Les lèvres du prêtre sont les gardiennes du savoir. C’est à lui qu’on s’adresse pour connaître la Loi, car il est un ange de Hachem Tsebaot ». (Malachie  2, 7)

Ailleurs, il est écrit de même : «Ils offensaient les anges de D.ieu, méprisaient Ses paroles et se jouaient de Ses prophètes». (2 Chroniques 36, 16)

Même au moment où l’homme saint est pris par les occupations matérielles indispensables à sa vie physique, son âme ne se départ pas de son désir suprême, l’attachement, ainsi qu’il est écrit : « Mon âme est attachée à Ta suite Ta droite me sou­tient ». (Psaumes 63, 9)

Cependant, il faut reconnaître qu’il est impossible à un homme de parvenir par ses propres forces à un degré d’élé­vation qui dépasse ses moyens. Car, en fin de compte, c’est un être composé de matière, fait de chair et de sang. C’est pour­quoi nous avons dit que le couronnement de la sainteté était un don gratuit.

Tout ce que l’homme peut faire, c’est de s’employer à atteindre la connaissance véritable et à étudier sans relâche les règles de la pratique de la sainteté. Mais, finalement, c’est le Saint, béni soit-Il, qui le guidera sur la voie qu’il désire suivre, fera résider Sa sainteté sur lui et le sanctifiera. C’est alors seulement que l’homme réussira à s’attacher à Lui, béni soit-Il, de façon constante. Ce que la nature lui refuse, le Saint béni soit-Il, le lui donnera par Son aide et Son assistance ainsi qu’il est écrit : « Il ne refuse aucun bien à ceux dont les voies sont intègres ». (Psaumes 84, 12)

C’est ainsi qu’il faut comprendre la sentence  que nous avons rappelée plus haut : «Si l’on se sanctifie un peu » fait allusion aux progrès que l’homme peut réaliser par son propre effort. «Il se voit sanctifié davantage » par l’aide que lui accorde le Saint, béni soit-Il, ainsi que nous l’avons exposé.

Et, de fait, l’homme dont les efforts sont sanctifiés par le Créateur atteint un niveau où ses actions matérielles elles-mêmes prennent une valeur de vraie sainteté.

Nous en avons une preuve dans ce commentaire que nos Sages donnent à la consommation, prescrite par la Loi des viandes offertes en sacrifice sur l’autel : « Les prêtres les mangent et ceux qui les ont apportées obtiennent, par là, le pardon de leurs fautes». (Pessa’him 59 b)

   Ceci va nous permettre maintenant d’éclairer la différence qu’il y a entre la pureté et la sainteté.

Pour l’homme pur, les actions matérielles ne sont rien de plus que des nécessités de la vie et c’est dans cet esprit qu il les accomplit. Il en résulte que ces actions perdent le caractère défectueux qui leur vient de leur nature matérielle et deviennent pures, sans toutefois entrer, pour cela, dans la catégorie des actions saintes car, si on avait pu, on aurait préféré s’en dispenser.

L’homme saint, par contre, uni sans cesse à son D.ieu et dont l’âme, transportée d’amour et de vénération pour son Créateur, chemine parmi les Intellects purs, est comparable à l’homme qui marche devant D.ieu sur la terre des vivants pour l’éternité, alors qu’il se trouve encore en ce monde ici-bas. .

Aussi sa propre personne est-elle élevée au rang du sanctuaire, du Temple et de l’autel. Telle était la pensée de nos Sages lorsque dans un commentaire allégorique du verset: «D.ieu s’en alla d’au dessus de lui »,  ils disaient : « Nos Pères… Abra­ham, Isaac et Jacob sont eux-mêmes le char céleste». (Genèse Rabba 82, 6)

Ailleurs, cette idée est formulée ainsi : « Les Justes sont le char céleste », car la Majesté divine repose sur eux comme elle reposait sur le Temple de Jérusalem. Aussi la nourriture qu’ils consomment peut-elle être assimilée au sacrifice qui était consumé par le feu de l’autel.

Or nous savons que le fait d’être offert devant la Majesté divine conférait à tout ce qui était apporté sur l’autel une telle dignité et une telle importance que, du même coup, la bénédic­tion se répandait, de par le monde entier, sur tous les êtres ou les produits de la même espèce. Il en va de même pour la nour­riture et la boisson que l’homme saint vient à consommer : son geste confère à la nourriture et à la boisson la même dignité que leur aurait valu le fait d’être offerts sur l’autel lui-même. C’est pourquoi nos Sages nous enseignent :

« Quiconque homme qui apporte un présent à un Sage est considéré comme s’il offrait les prémices au Temple ». (Quetoubot 105 b)

« Prodiguez du vin aux Sages, en remplacement des libations ». (Cf. Yoma 71 a) 

Non pas, ce qu’à D.ieu ne plaise, que les Sages soient por­tés sur la bonne chère et la boisson en sorte qu’il faille les gaver comme des gloutons. La vérité est, comme nous l’avons déjà exposé, que les disciples des sages, étant donné que leurs voies et leurs actions sont empreintes de sainteté, sont effecti­vement comparables au sanctuaire et à l’autel, du fait que la Majesté divine repose sur eux tout comme elle reposait sur le sanctuaire. Il en résulte que le présent qu’on leur fait équivaut à l’offrande apportée à l’autel, et que leur offrir une boisson équivaut à remplir les coupes de libation.

 

De la même façon, tout objet dont ont fait usage des hommes vivant dans un attachement constant au Saint, béni soit-Il, acquiert du fait de ce contact avec le Juste, une dignité et une valeur éminentes. Cette vérité est illustrée par cet épisode de la vie de Jacob où il est dit qu’il prit des pierres de l’endroit et qu’il s’en fit un chevet. « Ceci nous indique, dit Rabbi Isaac, que les pierres se réunirent en un seul bloc, chacune d’elles prétendant : c’est sur moi que ce juste doit reposer sa tête». (‘Houlin  9 b)

 

En résumé, la sainteté consiste pour l’homme à s’attacher constamment à D.ieu, à un point tel que, quelle que soit l’action qu’il accomplisse, il ne vienne jamais à se séparer de Lui ni à s’en éloigner. Il en résulte qu’il est bien plus vrai de dire que les objets dont il s’est servi ont gagné en dignité par l’usage qu’il en a fait, que de prétendre que la constance de son attachement à Dieu et le degré d’élévation auquel il était parvenu ont souffert du fait qu’il s’est servi d’objets matériels. Et sans doute la condition de tout ceci est que son esprit et sa pensée, soient concentrés sans cesse sur la grandeur, la transcendance et la sainteté du Saint, béni soit-Il, au point qu’il puisse être considéré comme s’étant lié, dès ce monde-ci, à la cohorte des anges célestes. Or nous avons déjà fait remarquer que tout ce que l’homme pouvait faire en ce sens, c’était de déployer toute son énergie et ses efforts à la poursuite de ce but, en supposant bien entendu, qu’il se trouve déjà en possession des précieuses vertus dont nous avons parlé jusqu’ici, depuis la circonspection jusqu’à la crainte du péché.

« C’est avec cela qu’il se présentera dans le s anctuaire» s’il veut que ses efforts soient couronnés de succès. Car il va sans dire que si les vertus de base lui font défaut, il fera figure de profane, d’homme entaché d’un vice irrémédiable à qui s’applique le verset : «Le profane n’en approchera pas. » (Nombres 18, 4)

 

Si, par contre après s’être soumis à toute cette discipline préliminaire, il s’applique sans relâche, avec toutes les ressources de l’amour el de la crainte, à saisir la grandeur du Saint, béni soit-Il, et son insondable sublimité, il parviendra à se détacher progressivement des contingences matérielles et, dans tous ses faits et gestes, à concentrer son cœur sur les secrets de l’attachement vrai à D.ieu. C’est alors que l’Esprit d’En-Haut se répandra sur lui, que le Créateur, béni soit-Il, fera reposer Son nom sur lui, comme Il le fait pour tous ses saints, et qu’il deviendra lui même absolument semblable à un ange de D.ieu, toutes ses actions, même les plus humbles et les plus matérielles, prenant une valeur de sacrifices et de culte rendu à D.ieu.

 

Il est bien certain, dans ces conditions, que l’acquisition de cette vertu nécessite une abstinence soutenue, une réflexion intense sur les secrets de la Providence suprême et les mystères de la création, enfin la connaissance de la sublime grandeur du Saint, béni soit-Il, et de ses titres de gloire, jusqu’à ce qu’il soit attaché étroitement à Lui et qu’il sache diriger comme il convient sa pensée tout en continuant à vivre sa vie sur terre. C’est ainsi que jadis, le prêtre, pendant même qu’il égorgeait la bête du sacrifice, recueillait son sang ou l’aspergeait, devait n’avoir en pensée qu’un but : obtenir du Saint, béni soit-Il, par ces actes, la bénédiction, la vie et la paix. Si ces conditions ne sont pas réalisées, il est impossible à l’homme de parvenir jusqu’à ce degré de perfection. Il restera, à tout le moins, enta­ché de grossière matérialité, comme tous les autres mortels. L’homme se trouvera, par contre, grandement aidé, dans l’ac­quisition de cette vertu, par la pratique fréquente de l’isolement et de l’abstinence en sorte que, par l’élimination des facteurs de trouble, son âme pourra, avec des forces accrues, s’attacher au Créateur.

 

Quant aux obstacles qui nuisent à l’acquisition de cette vertu, ce sont avant tout une connaissance défectueuse des vérités essentielles et l’excès des rapports sociaux. C’est là, en effet, que tout ce qu’il y a de matériel en l’homme trouve un aliment, un excitant, et un surcroît de force, cependant que l’âme prise à ce piège, cherchera en vain à s’évader de cette prison. Si, par contre, l’homme rompt tous ces liens, se confine dans la solitude et se prépare à mériter que l’esprit de sainteté repose sur lui, on le fait avancer sur le chemin qu’il s’est choisi lui-même et son âme, forte de l’aide d’En-Haut, qui lui est accor­dée, triomphant des sollicitations du corps, parvient à s’attacher à la sainteté de Dieu et à atteindre, grâce à Lui, une perfection supérieure. De là, s’élevant à un degré encore plus élevé, elle pourra se hausser jusqu’à l’Esprit Saint, lorsque sa pénétration aura déjà dépassé les bornes de l’entendement humain.

 

Enfin son attachement à D.ieu peut atteindre un tel degré qu’il se verra confier le secret de la résurrection des morts, tout comme il fut confié à Élie et à Elisée. C’est bien là la preuve la plus éclatante de la force de son attachement au Saint, béni soit-Il, qui est la source de vie et qui dispense la vie à tout ce qui existe. Car, bien que nos Sages aient dit : «Il y a trois clefs que D.ieu ne confie à aucun intermédiaire,  l’une d’elles livre le secret de la résurrection des morts » (Taanit 2 a), celui dont l’attachement au Saint, béni soit-Il, est parfait peut tirer de Lui le pouvoir qui pourtant, plus que tout autre, Lui appartient en propre : celui de donner la vie. Aussi la sentence qui nous a servi de point de départ se termine-t-elle ainsi : «La sainteté conduit à l’esprit saint et l’esprit saint conduit à la résurrection des morts ». (Avoda zara 20 b)

 

Le sentier de rectitude – Messilate Yecharim – Rabbi Moché ‘Hayim Luzzato


CHAPITRE 2

De la vigilance

La vigilance consiste pour l’homme à surveiller ses actes et son comportement, c’est-à-dire penser et contrôler ses actes et ses voies, afin de savoir s’ils sont bons ou mauvais, pour ne pas abandonner son âme en danger de perdition, Dieu nous en garde, et ne pas marcher dans l’ornière de la routine, comme un aveugle dans les ténèbres. Le bon sens, d’ailleurs, en fait une évidence, car si l’homme est doué de connaissance et d’intelligence qui lui permettent de se sauver et de fuir la perdition, comment pourrait-il se détourner de son salut ? Ce serait trop de déficience et de folie perverse. En agissant ainsi, l’homme se situerait à un niveau inférieur à l’animal, qui, par nature, sait se garder lui-même et qui, par conséquent, évite et fuit tout ce qui peut lui paraître nuisible.

Celui qui marche dans le monde sans se demander si sa voie est bonne ou mauvaise, ressemble à l’aveugle qui chemine le long d’un fleuve. Le danger qu’il court est immense, et il est plus proche de son malheur que de son salut. Peu importe en effet que le manque de circonspection soit le fait d’une cécité naturelle ou d’un aveuglement volontaire. Voici Jérémie qui se lamente sur la perversité de ses contemporains dont le mal était justement de fermer les yeux sur leur conduite et de ne pas se soucier de savoir s’ils devaient continuer dans leur voie ou l’abandonner. « Personne parmi eux ne regrette ses mauvaises actions et ne dit : »Qu’ai-je fait?  »Tous, ils reprennent leur course, tel qu’un cheval qui se précipite au combat ». Tous continuent à suivre leurs chemins par la force de l’habitude, sans se donner le temps d’examiner leurs actions, et leurs voies. Aussi tombent-ils dans le malheur, sans même l’apercevoir.

Et c’est là assurément, un des stratagèmes de l’instinct du mal, une de ses ruses que d’accabler les hommes par un travail ininterrompu de sorte qu’ils n’ont plus de loisir pour prendre conscience du chemin qu’ils suivent, ni l’examiner. Il sait bien qu’il suffirait aux hommes de prendre garde à leurs voies, si peu que ce fût, pour qu’aussitôt ils se prennent à regretter leurs actes et dans un repentir grandissant rompent entièrement avec le péché. C’est ainsi qu’agissait Pharaon, l’oppresseur lorsqu’il ordonnait « qu’il y ait surcharge de travail pour eux, et qu’ils y soient astreints, et qu’on n’ait pas d’égard à des propos mensongers». Son intention était, non seulement de leur enlever tout loisir pour conspirer contre lui, mais encore d’annihiler en eux, par l’effet d’un travail sans répit, tout effort de réflexion. Les desseins de l’instinct du mal à l’égard des hommes sont du même ordre. Car il est un infatigable guerrier, expert en ruse. Il n’est possible d’en être délivré que par grande sagesse et vive prudence. Aussi le prophète nous adjure-t-il en ces termes : « Appliquez votre attention à votre manière d’agir. » Et Salomon dit dans sa sagesse : « N’accorde pas de sommeil à tes yeux ni de repos à tes paupières. Dégage-toi comme le cerf de la main [du chasseur] comme le passereau de la main de l’oiseleur ». Nos Sages enfin disent : « Tout homme qui prend garde à ses voies en ce monde, méritera le salut de Dieu  ». Il est bien évident que malgré toute sa vigilance, l’homme ne peut se sauver sans le secours de Dieu, car l’Instinct du Mal est très fort, ainsi qu’il est écrit : « Le méchant  fait le guet pour perdre le juste, il cherche à lui donner la mort. D.ieu ne l’abandonne pas entre ses mains. » En fait, même si l’homme veille sur lui-même, il ne peut être sauvé de l’Instinct du Mal que parce que Dieu lui vient en aide. Mais s’il ne prend pas garde à lui, il est évident que Dieu ne le gardera pas, car s’il n’a pas de pitié pour lui-même, qui en aurait?

C’est en ce sens que nos Sages ont dit : «Quiconque n’a pas en lui la connaissance n’a pas le droit à la miséricorde . » Et aussi : « Si je ne suis pas pour moi, qui sera pour moi ? Et si je suis pour moi, que suis-je ? Et si ce n’est pas maintenant, quand? ».


CHAPITRE 3

Aspects de la vigilance

 

Celui qui veut veiller sur lui-même , doit se livrer à deux genres d’examens nécessaires. Le premier lui donnera une notion claire du bien véritable que l’homme doit choisir et du mal véritable qu’il doit fuir. Le second portant sur les actes qu’il accomplit, lui révélera s’ils entrent dans la catégorie du bien ou du mal.

Cette réflexion s’impose aussi bien au moment de l’action qu’en dehors d’elle. Au moment de l’action pour que l’homme ne fasse rien sans l’avoir pesé et jaugé. En dehors de l’action pour que le souvenir de l’ensemble de ses œuvres lui revenant à l’esprit, il les pèse et les examine. Il reconnaîtra alors celles qui sont mauvaises et qu’il doit repousser et celles qui sont bonnes et méritent d’être poursuivies. Si certaines de ses actions sont mauvaises, il réfléchira et cherchera quel moyen ingénieux adopter pour s’écarter du mal et s’en dégager entièrement.

Nos Sages ont dit en ce sens : « Mieux eût valu pour l’homme qu’il ne fût point créé.  Mais, du moment qu’il l’a été, qu’il examine ses actes ». D’autres disent : « Qu’il les palpe. » Les deux versions renferment chacune un enseignement profitable. Examiner ses actes, en effet, c’est réfléchir, reconnaître ceux qu’il eût mieux valu éviter parce qu’ils n’étaient pas conformes aux ordres et aux lois de D.ieu. Il est nécessaire de renoncer à de tels actes, s’il en trouve. Palper ses actes, c’est scruter les bonnes actions elles-mêmes pour examiner si elles ne contiennent aucune mauvaise orientation ou quelque parcelle de mal qu’il faudra éliminer et abolir. C’est comme si nous tâtions un vêtement pour savoir s’il est bon et solide, ou mauvais et usé. Faisons subir la même épreuve à nos actes et examinons leur qualité avec la dernière rigueur jusqu’à ce qu’ils deviennent purs et nets de toute souillure.

En résumé, l’homme doit examiner tous ses actes, contrôler toutes ses voies pour ne laisser en lui aucune habitude vicieuse, aucune mauvaise vertu et encore moins, la transgression et le crime.

Et je constate qu’il est nécessaire à l’homme de peser scrupuleusement ses voies, jour après jour, comme ces grands hommes d’affaires qui font sans cesse leur bilan pour éviter toute perte. Qu’il se fixe à cet effet, des heures déterminées, pour que son examen de conscience ne soit pas fortuit, mais ait la plus grande régularité. C’est là une pratique lourde de conséquences, et nos maîtres nous ont enseigné explicitement la nécessité de cette comptabilité : « Ceux qui sont maîtres de leurs passions disent : « Evaluons ce que nous perdons à observer un commandement par rapport à ce que nous y gagnons et ce que nous gagnons à le transgresser par rapport à ce que nous y perdons ». »

A vrai dire, seuls ceux qui se sont dégagés de l’instinct du mal et qui le dominent, peuvent donner ce conseil et en apprécier l’exactitude. Car les yeux de celui qui est encore prisonnier de son instinct ne voient pas cette vérité. Il est incapable de la reconnaître car l’instinct du mal rend aveugle le pécheur qui va dans les ténèbres au-devant d’un piège qu’il ne voit pas.

Nos sages disent: «Tu ramènes les ténèbres et c’est la nuit », « Tel est ce monde qui ressemble à la nuit ». Comprends combien ces paroles sont admirables pour celui qui les approfondit. L’obscurité de la nuit peut en effet entraîner pour l’œil humain deux sortes d’erreurs.  Elle peut, soit l’envelopper au point de l’aveugler complètement, soit l’induire en erreur et lui faire prendre une colonne pour un homme, un homme pour une colonne. Or, le côté physique et matériel de ce monde  jouent le rôle des ténèbres de la huit pour l’œil de l’esprit. Ils sont la source de deux genres d’erreurs. Ils l’empêchent d’abord de voir les obstacles parsemés sur les routes de ce monde, de sorte que les gens simples marchent avec insouciance, tombent et périssent, avant même qu’un sentiment de crainte ait pu les effleurer. C’est en ce sens que les Proverbes disent : «Le chemin des méchants est sombre comme les ténèbres : ils ne savent pas ce qui les fait trébucher. » « L’homme avisé voit le danger et se met à l’abri. Les sots passent outre et en pâtissent . » « Le sot se laisse aller. Il a confiance . » Leur cœur est plein d’assurance, ils tombent avant d’avoir soupçonné la présence de l’obstacle.

La deuxième erreur est plus grave que la première.  Elle trompe leur sens jusqu’à leur faire voir le mal comme s’il était réellement le bien et le bien comme s’il était le mal. Ils s’endurcissent ainsi dans leurs œuvres mauvaises et y persévèrent. Non seulement ils ne voient plus le mal qui est présent mais, chose plus grave, ils tentent de justifier leurs opinions perverses et leurs théories erronées.

C’est cette erreur, la plus grave de toutes qui, les tenant captifs, les mène à la fosse de perdition ainsi qu’il est écrit : « Le cœur de ce peuple est épais, ses oreilles sont sourdes, ses yeux sont aveugles . » Tout cela parce qu’ils sont prisonniers des ténèbres et subjugués par leurs passions. Mais ceux qui se sont dégagés de cet emprisonnement contemplent la vérité sous son vrai jour, et peuvent ainsi diriger les autres hommes vers elle.

A quoi cela ressemble-t-il ? A un jardin en labyrinthe que les princes se font construire pour leur divertissement. Les plantations s’y élèvent comme des murs : entre elles courent de multiples sentiers qui se perdent et s’entremêlent et se ressemblent tous.  Il  s’agit d’accéder par eux à une galerie centrale, dont la plupart des sentiers éloignent le promeneur. Et, de fait, il lui est impossible de reconnaître le bon chemin du mauvais, car tous sont identiques et rien ne les distingue, à moins que l’expérience ne l’aide à se retrouver, ayant déjà parcouru la voie et ayant atteint le but, au centre de la galerie. Celui qui s’y retrouve voit tous les chemins devant lui. Il distingue les vrais des faux : il peut avertir les passants et leur dire : « Voici le chemin que vous devez emprunter. » Qui veut lui faire confiance atteindra l’endroit du rendez-vous. Mais celui qui s’y refuse et préfère se fier à ses yeux se perdra certainement sans atteindre le but.

Il en est de même pour nous. Celui qui n’a pas encore dominé l’instinct du mal se trouve au milieu des sentiers, incapable de les distinguer. Mais ceux qui sont maîtres de leurs instincts, ont déjà atteint la galerie. Ils sont sortis des sentiers et embrassent tout d’un regard clair, ils peuvent donner des conseils à ceux qui veulent bien les entendre. C’est à eux que nous devons faire confiance. Or quel conseil nous donnent-ils ? « Venez faire votre  examen [de conscience], venez, faisons l’examen du compte de ce monde ».

Car ils ont éprouvé, ils ont vu et ils savent que c’est le seul chemin véritable, nul autre ne mène l’homme au bonheur qu’il recherche, il n’est rien hors de là.

En résumé, l’homme doit méditer sans relâche, pendant les moments de solitude qu’il se sera fixés à cet effet. Quelle est la voie réelle ordonnée par la Torah, et que l’homme doit nécessairement prendre ? Puis il examinera ses actions pour savoir si elles suivent cette voie ou non. S’il agit ainsi, il lui sera assurément plus aisé de se purifier de tout mal et de redresser toutes ses voies. Ainsi qu’il est écrit : « Aplanis avec soin le sentier que foule ton pied et tous tes chemins seront sûrs » « Examinons nos voies, scrutons-les et faisons retour vers D.ieu. »


CHAPITRE 4

Comment acquérir les voies de la vigilance

 

La voie qui mène l’homme à la vigilance est l’étude de la Torah : « La Torah mène à la vigilance », disait Rabbi Pin’has. Plus précisément, ce qui y mène, c’est la réflexion sur la gravité de l’œuvre qui incombe à l’homme et la rigueur du jugement qui sanctionne son accomplissement. Or cette réflexion naîtra de l’étude attentive des faits et gestes relatés par les livres saints et des sentences des Sages de mémoire bénie qui se proposent d’éveiller l’homme sur ce sujet.

Il y a lieu, d’ailleurs, d’établir une hiérarchie de valeurs parmi les mobiles qui la feront germer, selon qu’il s’agit de natures d’élite, d’êtres moins élevés ou de la foule.

  Pour les natures d’élite, le mobile déterminant sera la conscience que la perfection seule est désirable, et rien en dehors d’elle et qu’il n’est de mal plus grand que d’en être privé ou éloigné. Pénétrés et convaincus de ce que les moyens pour atteindre la perfection sont les bonnes actions et les vertus morales, ces hommes n’accepteront jamais d’en amoindrir le nombre ou l’efficacité. Ils savent trop bien qu’en transigeant sur le nombre de ces moyens, en manquant d’énergie et de zèle pour les accomplir, ils tomberont au lieu d’atteindre la vraie perfection dans la mesure même de leur faiblesse. Or il n’est point pour eux de tourment plus grave, de plus grand malheur. Aussi auront-ils à cœur de multiplier et d’intensifier les moyens mis en œuvre en se préoccupant de chaque détail, sans avoir de cesse, car ils sont tourmentés par l’idée qu’il leur manque peut-être ce qui leur permettrait d’atteindre la perfection désirée. Ceci exprime l’idée du roi Salomon lorsqu’il disait : « Heureux l’homme qui est dans une crainte permanente». Cette crainte, disent nos Sages, est celle de ne pas accomplir les ordres de la Torah.

Le sommet de cette vertu se trouve être « la crainte de la faute » qui est un des degrés les plus dignes d’éloge. A ce niveau, l’homme redoute et s’angoisse perpétuellement d’avoir sur la conscience un soupçon de faute qui l’empêcherait d’atteindre la perfection qu’il doit s’efforcer de réaliser. C’est à cela que font allusion nos Sages lorsqu’ils disent, dans leur langage imagé : « [Dans le monde à venir,] chacun sera consumé de regrets à la vue du dais qui recouvrira son prochain. » Il ne s’agit pas ici d’une envie qui ne peut s’emparer que d’êtres imparfaits, mais chacun est consumé du regret d’être inférieur au degré de perfection qu’il eût pu atteindre aussi bien que tout autre. Or, il est clair qu’après avoir médité ce sujet, l’homme d’élite ne manquera pas d’être vigilant dans ses actes. Altérer

Chez les hommes d’un discernement moins raffiné, l’éveil sera donné selon leur intelligence, par la gloire à laquelle ils aspirent. Or il est évident pour tout homme doué de sens, que les hiérarchies du monde réel, qui est le monde à venir, ne se déterminent que selon les actes.  Ne possédera un niveau élevé que l’homme le plus muni [en bonnes actions], le plus dépourvu sera rabaissé. Comment l’homme pourrait-il dès lors détourner les yeux de ses actions, ou réduire son effort, s’il est certain qu’il se tourmentera un jour, lorsqu’il ne pourra plus réparer ce qu’il aura altéré.

Il est pourtant des gens siimples qui ne cherchent qu’à se faciliter la tâche et qui disent : « A quoi bon nous fatiguer avec toute cette piété, et cette ascèse? Il nous suffit de ne pas faire partie des impies  châtiés en enfer. Nous n’avons nul besoin de nous presser à entrer au lieu le plus intime du jardin d’Éden. Si nous n’avons pas une belle part, nous en aurons une petite. Elle nous suffira bien et nous n’allons pas alourdir le joug de notre charge pour cela». A ces gens, nous poserons seulement une question : consentiraient-ils aussi facilement à voir, en ce monde passager, un homme de leur condition accéder à des honneurs et à un rang auquel ils n’accèdent pas, et les commander? Surtout s’il s’agissait d’un de leurs serviteurs ou de ces pauvres qu’ils méprisent et regardent de haut. N’en seraient-ils pas ulcérés ? Leur sang ne bouillirait-il pas en eux ?

Nous voyons bien toute la peine que l’homme se donne pour s’élever autant qu’il peut, et prendre position parmi les grands : «Et j’ai observé que le labeur de l’homme et tous ses efforts pour réussir ont pour mobile la jalousie qu’il nourrit contre son prochain». Et si l’un d’entre eux voit son compagnon s’élever tandis que lui-même reste à niveau inférieur, il ne fait assurément que se plier à une situation qu’il est bien forcé de supporter. Il ne peut rien y changer, mais au fond de son cœur il est plein de dépit.

Si donc il leur est si pénible d’être plus bas que les autres dans une hiérarchie illusoire et trompeuse, où la dernière place n’est qu’apparente, et la première vanité et mensonge, comment supporteront-ils de se voir dépassés par ceux qui sont maintenant leurs inférieurs, et cela dans le monde des vraies valeurs et de la gloire éternelle ? Car ils ont beau ignorer aujourd’hui son prix et ne pas s’en soucier, un jour viendra, certes, où ils reconnaîtront sa vérité, à leur grand dam et à leur honte, et il ne leur restera qu’un regret poignant et éternel. Tu peux donc déduire que cette patience qu’ils se prêchent pour alléger le poids de leur service [divin],  n’est qu’une séduction mensongère de l’instinct du mal qui ne représente rien de vrai.

En fait cette séduction ne pouvait se produire s’ils regardaient le problème dans toute sa vérité. Mais comme ils n’en ont cure et sont livrés à leur erreur, ils vivent avec leur séduction jusqu’au temps où il sera trop tard, où ils ne pourront plus réparer ce qu’ils auront détruit. Ainsi le disait le roi Salomon : « Tout ce que tes propres moyens  te permettent de faire, fais-le : car il n’y a ni activité, ni comptes, ni science, ni sagesse dans le Chéol, vers lequel tu te diriges» .Ce que l’homme n’aura pas accompli tant qu’il possède le pouvoir, venu de son Créateur, de choisir sa voie pendant tous les jours de cette vie terrestre où il est à la fois libre et sollicité par les devoirs, il ne pourra plus le faire dans la tombe et le Chéol où il aura perdu cette possibilité. Qui n’aura pas multiplié les bonnes actions pendant sa vie, ne pourra plus les accomplir après. Qui n’aura point fait l’examen de ses actes, n’aura plus le loisir de le faire. Et qui n’aura pas augmenté sa sagesse en ce monde, ne deviendra pas un sage dans la tombe. Ainsi qu’il est dit : «car n’y a ni activité, ni comptes, ni science, ni sagesse dans le Chéol vers lequel tu te diriges. »

Chez l’homme ordinaire enfin, l’éveil sera donné par la représentation de la récompense et du châtiment eux-mêmes. Le spectacle de l’étendue de la justice divine, à qui rien n’échappe, est bien propre à entretenir un tremblement et une angoisse perpétuels. Car qui pourrait penser subir victorieusement l’épreuve du Jugement ? Et qui se disculperait devant son Créateur, au regard duquel nulle chose, ni petite ni grande, n’échappe ?

Expliquant le verset « il révèle à l’homme sa propre parole », nos Sages disent que l’on rappellera à l’homme, le jour du Jugement, même un propos léger qu’il aura pu tenir à sa femme. Ils disent encore« que D.ieu ne laisse rien passer à ses saints, fût-ce de la largeur d’un cheveu ». Abraham, qui fut Abraham-le-bien-aimé du Créateur puisque le verset l’appelle « Abraham, mon bien-aimé », n’a pas évité la punition de quelques paroles inconsidérées qu’il avait prononcées, ayant demandé : « comment saurai-je que je posséderai ce pays ? », le Saint, béni soit-Il, lui répondit : « Par ta vie, sache que tes descendants seront des étrangers… .»

Parce qu’il fait alliance avec Avimélekh sans l’ordre de D.ieu, le Saint, béni soit-Il, lui dit : « Par ta vie, sept générations passeront avant que tes enfants ne connaissent la joie. »

Jacob s’étant emporté contre Rachel qui lui disait : « Donne-moi des enfants », Dieu lui dit : «Est-ce ainsi qu’on répond à une femme dans l’affliction ? Par ta vie, tes fils se tiendront debout devant son fils . »

Jacob avait enfermé Dina dans un coffre pour la soustraire à Esaü  bien que l’intention était bonne, mais du fait qu’il priva son frère d’un bienfait Dieu dit : «A celui qui se consume de chagrin devrait aller la sympathie de ses amis. Tu n’as pas voulu pour elle d’un circoncis, elle sera prise par un incirconci.Tu n’as pas voulu pour elle d’un mariage légitime : elle sera prise de force. »

Joseph qui avait dit à l’échanson : « Souviens-toi de moi lorsque tu seras heureux » resta deux ans de plus en prison . Ayant fait embaumer le corps de son père sans l’assentiment divin, ou selon d’autres, ayant entendu sans protester ses frères dire : « Notre père, ton serviteur », il mourut avant eux.

David qui avait appelé « chants » les paroles de la loi en fut puni lors de l’accident d’Ouza qui vint troubler sa joie.

 Mikhal, pour avoir reproché à David d’avoir dansé en public devant l’Arche, mourut en mettant son enfant au monde.

Ezéchias qui exhiba ses trésors aux ambassadeurs du roi de Babylone fit le malheur de ses fils, condamnés à servir comme eunuques dans le palais de ce roi. Les exemples de ce genre abondent.

 Rabbi Yo’hanan, disent nos Sages, pleurait chaque fois qu’il lisait ce verset: «Et je m’avancerai vers vous pour faire justice. Je me hâterai de témoigner contre les magiciens, les adultères, les parjures, contre ceux qui exploitent le salarié, les oppresseurs de la veuve et de l’orphelin, de l’étranger, et qui ne me redoutent point, dit le Seigneur . » « Que peut un serviteur, dit Rabbi Yo’hanan, à qui l’on tient la même rigueur des fautes légères que des fautes graves ? » Ce n’est pas que, selon lui, la punition soit la même pour toutes les fautes, car D.ieu punit selon la gravité de la faute.

  Il faut entendre que sur la balance de nos actions, le poids de nos fautes légères entre en ligne de compte comme celui de nos manquements graves et que ces derniers ne font pas oublier les autres. Le juge ne s’en détourne pas, mais, donnant une attention égale à chacun d’eux, il condamne et punit chaque faute, selon sa gravité. Le roi Salomon dit à ce sujet : « Car toute action, D.ieu la fera paraître en jugement, si cachée soit-elle, bonne ou mauvaise . » Car, pas plus qu’il n’oublie de récompenser une bonne action, si minime soit-elle, Dieu n’oublie pas de reprendre la faute, si vénielle soit-elle. Que cela fasse réfléchir quiconque se berce d’illusions et s’imagine que D.ieu ne nous jugera pas pour des peccadilles et ne nous en demandera pas un compte rigoureux. Car nos Sages enseignent : « Si l’instinct du mal te suggère : « Pèche et D.ieu te pardonnera », ne l’écoute pas», cela n’est que trop clair, puisque Dieu est un Dieu de vérité. Ainsi parlait Moïse notre maître : « Lui, notre Rocher, son œuvre est parfaite, toutes ses voies sont justes. Dieu fidèle, sans iniquité, juste et droit. » Puisque D.ieu veut la justice, il la violerait en détournant son regard soit du mérite soit de la faute. Aussi faut-il qu’il donne à chacun selon ses voies et selon ses œuvres avec la plus scrupuleuse exactitude, soit en bien, soit en mal. Voilà le « D.ieu fidèle sans iniquité, juste et droit», c’est-à-dire, selon nos Sages, pour les justes comme pour les méchants. Ainsi le veut Sa nature de juge universel, dont le châtiment atteint toute transgression et auquel on n’échappe pas.

Mais alors, diras-tu, que devient la miséricorde divine, puisque tous nos actes sont implacablement jugés ?

La réponse est la suivante: Il est certain que la miséricorde divine est le fondement du monde. Sans elle, il ne pourrait pas subsister un instant. Mais la justice n’en pâtit point. Et voici comment. D’après la justice stricte, il conviendrait que le pécheur soit puni immédiatement et sans délai après sa faute, que le châtiment lui-même soit lourd de tout le courroux que mérite un rebelle à la parole divine, enfin, qu’il n’y ait aucun moyen de réparer le mal. Car, en vérité, comment l’homme pourrait-il réparer ce qu’il a altéré, la faute une fois commise ? Le meurtre, l’adultère, comment les réparer ? Peut-on soustraire à l’existence un acte déjà commis ?

C’est ici que la miséricorde divine intervient pour changer totalement ces trois données. Un délai est accordé au pécheur, lui permettant de ne pas disparaître du monde aussitôt après la faute; le châtiment ne va pas jusqu’à l’anéantissement total, le repentir enfin est donné aux pécheurs, par un geste de pur amour divin qui agrée l’abolition de la mauvaise volonté, comme équivalent à l’abolition de l’acte lui-même. Si le pénitent, en effet, reconnaît sa faute, en fasse l’aveu, médite sur sa perversité, s’en détourne et en éprouve un regret sans réticence comme d’un voeu inconsidéré, si son désir le plus évident est que cet acte n’ait jamais été commis, et qu’un remords cuisant de l’avoir accompli tourmente son cœur, s’il l’exècre désormais et fuit loin de lui, le renoncement total auquel sa volonté aura consenti lui vaudra le pardon.

Tel est le sens du verset : « Ton péché a disparu, ta faute est effacée. » Car le péché disparaît alors véritablement du monde, comme extirpé par le remords et le regret du passé.

Sans doute cet acte d’amour ne dérive-t-il pas de la stricte justice. Mais il ne la contredit pas non plus. On peut admettre, en effet, qu’à la complaisance et à la jouissance dans le péché se substituent maintenant le regret et la souffrance.

De même le délai accordé à l’homme ne signifie pas rémission de son péché, mais tolérance passagère afin de laisser une porte ouverte à la réparation. Il en va de même pour d’autres actes d’amour divin, tels que l’indulgence accordée aux parents en vertu des mérites de leurs enfants, ou un châtiment partiel tenant lieu de châtiment total. Ils ne contredisent ni n’annulent l’exercice de la justice, car on peut leur trouver de bonnes justifications. Si, par contre, il y avait une rémission des péchés sans contrepartie, ou s’il n’en était pas tenu compte, ce serait la négation de toute justice. II n’y aurait plus ni droit, ni équité : c’est une pure impossibilité. Si le pécheur ne choisit pas une des voies dont nous avons parlé pour sauver son âme, la stricte justice fera nécessairement son office. «Il est longanime, mais il encaisse sa dette », disent nos Sages.

II s’ensuit que l’homme qui veut ouvrir les yeux, ne peut échapper par aucun prétexte à la nécessité de veiller sur ses actes avec l’attention la plus soutenue et de les examiner avec la plus grande minutie. Telles sont les considérations auxquelles l’homme doit se livrer : grâce à elles, il acquerra la vigilance, s’il est doué de sensibilité.