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Traduction d’ouvrages remarquables du judaisme

Le sentier de rectitude – Messilate Yecharim – Rabbi Moché ‘Hayim Luzzato


CHAPITRE 2

De la vigilance

La vigilance consiste pour l'homme à surveiller ses actes et son comportement, c'est-à-dire penser et contrôler ses actes et ses voies, afin de savoir s'ils sont bons ou mauvais, pour ne pas abandonner son âme en danger de perdition, Dieu nous en garde, et ne pas marcher dans l'ornière de la routine, comme un aveugle dans les ténèbres. Le bon sens, d'ailleurs, en fait une évidence, car si l'homme est doué de connaissance et d'intelligence qui lui permettent de se sauver et de fuir la perdition, comment pourrait-il se détourner de son salut ? Ce serait trop de déficience et de folie perverse. En agissant ainsi, l'homme se situerait à un niveau inférieur à l'animal, qui, par nature, sait se garder lui-même et qui, par conséquent, évite et fuit tout ce qui peut lui paraître nuisible.

Celui qui marche dans le monde sans se demander si sa voie est bonne ou mauvaise, ressemble à l'aveugle qui chemine le long d'un fleuve. Le danger qu'il court est immense, et il est plus proche de son malheur que de son salut. Peu importe en effet que le manque de circonspection soit le fait d'une cécité naturelle ou d'un aveuglement volontaire. Voici Jérémie qui se lamente sur la perversité de ses contemporains dont le mal était justement de fermer les yeux sur leur conduite et de ne pas se soucier de savoir s'ils devaient continuer dans leur voie ou l'abandonner. « Personne parmi eux ne regrette ses mauvaises actions et ne dit :''Qu'ai-je fait? ''Tous, ils reprennent leur course, tel qu'un cheval qui se précipite au combat ». Tous continuent à suivre leurs chemins par la force de l'habitude, sans se donner le temps d'examiner leurs actions, et leurs voies. Aussi tombent-ils dans le malheur, sans même l'apercevoir.

Et c'est là assurément, un des stratagèmes de l'instinct du mal, une de ses ruses que d'accabler les hommes par un travail ininterrompu de sorte qu'ils n'ont plus de loisir pour prendre conscience du chemin qu'ils suivent, ni l'examiner. Il sait bien qu'il suffirait aux hommes de prendre garde à leurs voies, si peu que ce fût, pour qu'aussitôt ils se prennent à regretter leurs actes et dans un repentir grandissant rompent entièrement avec le péché. C'est ainsi qu'agissait Pharaon, l'oppresseur lorsqu'il ordonnait « qu'il y ait surcharge de travail pour eux, et qu'ils y soient astreints, et qu'on n'ait pas d'égard à des propos mensongers». Son intention était, non seulement de leur enlever tout loisir pour conspirer contre lui, mais encore d'annihiler en eux, par l'effet d'un travail sans répit, tout effort de réflexion. Les desseins de l'instinct du mal à l'égard des hommes sont du même ordre. Car il est un infatigable guerrier, expert en ruse. Il n'est possible d'en être délivré que par grande sagesse et vive prudence. Aussi le prophète nous adjure-t-il en ces termes : « Appliquez votre attention à votre manière d'agir. » Et Salomon dit dans sa sagesse : « N'accorde pas de sommeil à tes yeux ni de repos à tes paupières. Dégage-toi comme le cerf de la main [du chasseur] comme le passereau de la main de l'oiseleur ». Nos Sages enfin disent : « Tout homme qui prend garde à ses voies en ce monde, méritera le salut de Dieu  ». Il est bien évident que malgré toute sa vigilance, l'homme ne peut se sauver sans le secours de Dieu, car l'Instinct du Mal est très fort, ainsi qu'il est écrit : « Le méchant  fait le guet pour perdre le juste, il cherche à lui donner la mort. D.ieu ne l'abandonne pas entre ses mains. » En fait, même si l'homme veille sur lui-même, il ne peut être sauvé de l'Instinct du Mal que parce que Dieu lui vient en aide. Mais s'il ne prend pas garde à lui, il est évident que Dieu ne le gardera pas, car s'il n'a pas de pitié pour lui-même, qui en aurait?

C'est en ce sens que nos Sages ont dit : «Quiconque n'a pas en lui la connaissance n'a pas le droit à la miséricorde . » Et aussi : « Si je ne suis pas pour moi, qui sera pour moi ? Et si je suis pour moi, que suis-je ? Et si ce n'est pas maintenant, quand? ».

 

 


 

CHAPITRE 3

Aspects de la vigilance

 

Celui qui veut veiller sur lui-même , doit se livrer à deux genres d'examens nécessaires. Le premier lui donnera une notion claire du bien véritable que l'homme doit choisir et du mal véritable qu'il doit fuir. Le second portant sur les actes qu'il accomplit, lui révélera s'ils entrent dans la catégorie du bien ou du mal.

Cette réflexion s'impose aussi bien au moment de l'action qu'en dehors d'elle. Au moment de l'action pour que l'homme ne fasse rien sans l'avoir pesé et jaugé. En dehors de l'action pour que le souvenir de l'ensemble de ses œuvres lui revenant à l'esprit, il les pèse et les examine. Il reconnaîtra alors celles qui sont mauvaises et qu'il doit repousser et celles qui sont bonnes et méritent d'être poursuivies. Si certaines de ses actions sont mauvaises, il réfléchira et cherchera quel moyen ingénieux adopter pour s'écarter du mal et s'en dégager entièrement.

Nos Sages ont dit en ce sens : « Mieux eût valu pour l'homme qu'il ne fût point créé.  Mais, du moment qu'il l'a été, qu'il examine ses actes ». D'autres disent : « Qu'il les palpe. » Les deux versions renferment chacune un enseignement profitable. Examiner ses actes, en effet, c'est réfléchir, reconnaître ceux qu'il eût mieux valu éviter parce qu'ils n'étaient pas conformes aux ordres et aux lois de D.ieu. Il est nécessaire de renoncer à de tels actes, s'il en trouve. Palper ses actes, c'est scruter les bonnes actions elles-mêmes pour examiner si elles ne contiennent aucune mauvaise orientation ou quelque parcelle de mal qu'il faudra éliminer et abolir. C'est comme si nous tâtions un vêtement pour savoir s'il est bon et solide, ou mauvais et usé. Faisons subir la même épreuve à nos actes et examinons leur qualité avec la dernière rigueur jusqu'à ce qu'ils deviennent purs et nets de toute souillure.

En résumé, l'homme doit examiner tous ses actes, contrôler toutes ses voies pour ne laisser en lui aucune habitude vicieuse, aucune mauvaise vertu et encore moins, la transgression et le crime.

Et je constate qu'il est nécessaire à l'homme de peser scrupuleusement ses voies, jour après jour, comme ces grands hommes d'affaires qui font sans cesse leur bilan pour éviter toute perte. Qu'il se fixe à cet effet, des heures déterminées, pour que son examen de conscience ne soit pas fortuit, mais ait la plus grande régularité. C'est là une pratique lourde de conséquences, et nos maîtres nous ont enseigné explicitement la nécessité de cette comptabilité : « Ceux qui sont maîtres de leurs passions disent : "Evaluons ce que nous perdons à observer un commandement par rapport à ce que nous y gagnons et ce que nous gagnons à le transgresser par rapport à ce que nous y perdons". »

A vrai dire, seuls ceux qui se sont dégagés de l'instinct du mal et qui le dominent, peuvent donner ce conseil et en apprécier l'exactitude. Car les yeux de celui qui est encore prisonnier de son instinct ne voient pas cette vérité. Il est incapable de la reconnaître car l'instinct du mal rend aveugle le pécheur qui va dans les ténèbres au-devant d'un piège qu'il ne voit pas.

Nos sages disent: «Tu ramènes les ténèbres et c'est la nuit », « Tel est ce monde qui ressemble à la nuit ». Comprends combien ces paroles sont admirables pour celui qui les approfondit. L'obscurité de la nuit peut en effet entraîner pour l'œil humain deux sortes d'erreurs.  Elle peut, soit l'envelopper au point de l'aveugler complètement, soit l'induire en erreur et lui faire prendre une colonne pour un homme, un homme pour une colonne. Or, le côté physique et matériel de ce monde  jouent le rôle des ténèbres de la huit pour l'œil de l'esprit. Ils sont la source de deux genres d'erreurs. Ils l'empêchent d'abord de voir les obstacles parsemés sur les routes de ce monde, de sorte que les gens simples marchent avec insouciance, tombent et périssent, avant même qu'un sentiment de crainte ait pu les effleurer. C'est en ce sens que les Proverbes disent : «Le chemin des méchants est sombre comme les ténèbres : ils ne savent pas ce qui les fait trébucher. » « L'homme avisé voit le danger et se met à l'abri. Les sots passent outre et en pâtissent . » « Le sot se laisse aller. Il a confiance . » Leur cœur est plein d'assurance, ils tombent avant d'avoir soupçonné la présence de l'obstacle.

La deuxième erreur est plus grave que la première.  Elle trompe leur sens jusqu'à leur faire voir le mal comme s'il était réellement le bien et le bien comme s'il était le mal. Ils s'endurcissent ainsi dans leurs œuvres mauvaises et y persévèrent. Non seulement ils ne voient plus le mal qui est présent mais, chose plus grave, ils tentent de justifier leurs opinions perverses et leurs théories erronées.

C'est cette erreur, la plus grave de toutes qui, les tenant captifs, les mène à la fosse de perdition ainsi qu'il est écrit : « Le cœur de ce peuple est épais, ses oreilles sont sourdes, ses yeux sont aveugles . » Tout cela parce qu'ils sont prisonniers des ténèbres et subjugués par leurs passions. Mais ceux qui se sont dégagés de cet emprisonnement contemplent la vérité sous son vrai jour, et peuvent ainsi diriger les autres hommes vers elle.

A quoi cela ressemble-t-il ? A un jardin en labyrinthe que les princes se font construire pour leur divertissement. Les plantations s'y élèvent comme des murs : entre elles courent de multiples sentiers qui se perdent et s'entremêlent et se ressemblent tous.  Il  s'agit d'accéder par eux à une galerie centrale, dont la plupart des sentiers éloignent le promeneur. Et, de fait, il lui est impossible de reconnaître le bon chemin du mauvais, car tous sont identiques et rien ne les distingue, à moins que l'expérience ne l'aide à se retrouver, ayant déjà parcouru la voie et ayant atteint le but, au centre de la galerie. Celui qui s'y retrouve voit tous les chemins devant lui. Il distingue les vrais des faux : il peut avertir les passants et leur dire : « Voici le chemin que vous devez emprunter. » Qui veut lui faire confiance atteindra l'endroit du rendez-vous. Mais celui qui s'y refuse et préfère se fier à ses yeux se perdra certainement sans atteindre le but.

Il en est de même pour nous. Celui qui n'a pas encore dominé l'instinct du mal se trouve au milieu des sentiers, incapable de les distinguer. Mais ceux qui sont maîtres de leurs instincts, ont déjà atteint la galerie. Ils sont sortis des sentiers et embrassent tout d'un regard clair, ils peuvent donner des conseils à ceux qui veulent bien les entendre. C'est à eux que nous devons faire confiance. Or quel conseil nous donnent-ils ? « Venez faire votre  examen [de conscience], venez, faisons l'examen du compte de ce monde ».

Car ils ont éprouvé, ils ont vu et ils savent que c'est le seul chemin véritable, nul autre ne mène l'homme au bonheur qu'il recherche, il n'est rien hors de là.

En résumé, l'homme doit méditer sans relâche, pendant les moments de solitude qu'il se sera fixés à cet effet. Quelle est la voie réelle ordonnée par la Torah, et que l'homme doit nécessairement prendre ? Puis il examinera ses actions pour savoir si elles suivent cette voie ou non. S'il agit ainsi, il lui sera assurément plus aisé de se purifier de tout mal et de redresser toutes ses voies. Ainsi qu'il est écrit : « Aplanis avec soin le sentier que foule ton pied et tous tes chemins seront sûrs » « Examinons nos voies, scrutons-les et faisons retour vers D.ieu. »

 


 

CHAPITRE 4

Comment acquérir les voies de la vigilance

 

La voie qui mène l'homme à la vigilance est l'étude de la Torah : « La Torah mène à la vigilance », disait Rabbi Pin'has. Plus précisément, ce qui y mène, c'est la réflexion sur la gravité de l'œuvre qui incombe à l'homme et la rigueur du jugement qui sanctionne son accomplissement. Or cette réflexion naîtra de l'étude attentive des faits et gestes relatés par les livres saints et des sentences des Sages de mémoire bénie qui se proposent d'éveiller l'homme sur ce sujet.

Il y a lieu, d'ailleurs, d'établir une hiérarchie de valeurs parmi les mobiles qui la feront germer, selon qu'il s'agit de natures d'élite, d'êtres moins élevés ou de la foule.

  Pour les natures d'élite, le mobile déterminant sera la conscience que la perfection seule est désirable, et rien en dehors d'elle et qu'il n'est de mal plus grand que d'en être privé ou éloigné. Pénétrés et convaincus de ce que les moyens pour atteindre la perfection sont les bonnes actions et les vertus morales, ces hommes n'accepteront jamais d'en amoindrir le nombre ou l'efficacité. Ils savent trop bien qu'en transigeant sur le nombre de ces moyens, en manquant d'énergie et de zèle pour les accomplir, ils tomberont au lieu d'atteindre la vraie perfection dans la mesure même de leur faiblesse. Or il n'est point pour eux de tourment plus grave, de plus grand malheur. Aussi auront-ils à cœur de multiplier et d'intensifier les moyens mis en œuvre en se préoccupant de chaque détail, sans avoir de cesse, car ils sont tourmentés par l'idée qu'il leur manque peut-être ce qui leur permettrait d'atteindre la perfection désirée. Ceci exprime l'idée du roi Salomon lorsqu'il disait : « Heureux l'homme qui est dans une crainte permanente». Cette crainte, disent nos Sages, est celle de ne pas accomplir les ordres de la Torah.

Le sommet de cette vertu se trouve être « la crainte de la faute » qui est un des degrés les plus dignes d'éloge. A ce niveau, l'homme redoute et s'angoisse perpétuellement d'avoir sur la conscience un soupçon de faute qui l'empêcherait d'atteindre la perfection qu'il doit s'efforcer de réaliser. C'est à cela que font allusion nos Sages lorsqu'ils disent, dans leur langage imagé : « [Dans le monde à venir,] chacun sera consumé de regrets à la vue du dais qui recouvrira son prochain. » Il ne s'agit pas ici d'une envie qui ne peut s'emparer que d'êtres imparfaits, mais chacun est consumé du regret d'être inférieur au degré de perfection qu'il eût pu atteindre aussi bien que tout autre. Or, il est clair qu'après avoir médité ce sujet, l'homme d'élite ne manquera pas d'être vigilant dans ses actes. Altérer

Chez les hommes d'un discernement moins raffiné, l'éveil sera donné selon leur intelligence, par la gloire à laquelle ils aspirent. Or il est évident pour tout homme doué de sens, que les hiérarchies du monde réel, qui est le monde à venir, ne se déterminent que selon les actes.  Ne possédera un niveau élevé que l'homme le plus muni [en bonnes actions], le plus dépourvu sera rabaissé. Comment l'homme pourrait-il dès lors détourner les yeux de ses actions, ou réduire son effort, s'il est certain qu'il se tourmentera un jour, lorsqu'il ne pourra plus réparer ce qu'il aura altéré.

Il est pourtant des gens siimples qui ne cherchent qu'à se faciliter la tâche et qui disent : « A quoi bon nous fatiguer avec toute cette piété, et cette ascèse? Il nous suffit de ne pas faire partie des impies  châtiés en enfer. Nous n'avons nul besoin de nous presser à entrer au lieu le plus intime du jardin d'Éden. Si nous n'avons pas une belle part, nous en aurons une petite. Elle nous suffira bien et nous n'allons pas alourdir le joug de notre charge pour cela». A ces gens, nous poserons seulement une question : consentiraient-ils aussi facilement à voir, en ce monde passager, un homme de leur condition accéder à des honneurs et à un rang auquel ils n'accèdent pas, et les commander? Surtout s'il s'agissait d'un de leurs serviteurs ou de ces pauvres qu'ils méprisent et regardent de haut. N'en seraient-ils pas ulcérés ? Leur sang ne bouillirait-il pas en eux ?

Nous voyons bien toute la peine que l'homme se donne pour s'élever autant qu'il peut, et prendre position parmi les grands : «Et j'ai observé que le labeur de l'homme et tous ses efforts pour réussir ont pour mobile la jalousie qu'il nourrit contre son prochain». Et si l'un d'entre eux voit son compagnon s'élever tandis que lui-même reste à niveau inférieur, il ne fait assurément que se plier à une situation qu'il est bien forcé de supporter. Il ne peut rien y changer, mais au fond de son cœur il est plein de dépit.

Si donc il leur est si pénible d'être plus bas que les autres dans une hiérarchie illusoire et trompeuse, où la dernière place n'est qu'apparente, et la première vanité et mensonge, comment supporteront-ils de se voir dépassés par ceux qui sont maintenant leurs inférieurs, et cela dans le monde des vraies valeurs et de la gloire éternelle ? Car ils ont beau ignorer aujourd'hui son prix et ne pas s'en soucier, un jour viendra, certes, où ils reconnaîtront sa vérité, à leur grand dam et à leur honte, et il ne leur restera qu'un regret poignant et éternel. Tu peux donc déduire que cette patience qu'ils se prêchent pour alléger le poids de leur service [divin],  n'est qu'une séduction mensongère de l'instinct du mal qui ne représente rien de vrai.

En fait cette séduction ne pouvait se produire s'ils regardaient le problème dans toute sa vérité. Mais comme ils n'en ont cure et sont livrés à leur erreur, ils vivent avec leur séduction jusqu'au temps où il sera trop tard, où ils ne pourront plus réparer ce qu'ils auront détruit. Ainsi le disait le roi Salomon : « Tout ce que tes propres moyens  te permettent de faire, fais-le : car il n'y a ni activité, ni comptes, ni science, ni sagesse dans le Chéol, vers lequel tu te diriges» .Ce que l'homme n'aura pas accompli tant qu'il possède le pouvoir, venu de son Créateur, de choisir sa voie pendant tous les jours de cette vie terrestre où il est à la fois libre et sollicité par les devoirs, il ne pourra plus le faire dans la tombe et le Chéol où il aura perdu cette possibilité. Qui n'aura pas multiplié les bonnes actions pendant sa vie, ne pourra plus les accomplir après. Qui n'aura point fait l'examen de ses actes, n'aura plus le loisir de le faire. Et qui n'aura pas augmenté sa sagesse en ce monde, ne deviendra pas un sage dans la tombe. Ainsi qu'il est dit : «car n'y a ni activité, ni comptes, ni science, ni sagesse dans le Chéol vers lequel tu te diriges. »

Chez l'homme ordinaire enfin, l'éveil sera donné par la représentation de la récompense et du châtiment eux-mêmes. Le spectacle de l'étendue de la justice divine, à qui rien n'échappe, est bien propre à entretenir un tremblement et une angoisse perpétuels. Car qui pourrait penser subir victorieusement l'épreuve du Jugement ? Et qui se disculperait devant son Créateur, au regard duquel nulle chose, ni petite ni grande, n'échappe ?

Expliquant le verset « il révèle à l'homme sa propre parole », nos Sages disent que l'on rappellera à l'homme, le jour du Jugement, même un propos léger qu'il aura pu tenir à sa femme. Ils disent encore« que D.ieu ne laisse rien passer à ses saints, fût-ce de la largeur d'un cheveu ». Abraham, qui fut Abraham-le-bien-aimé du Créateur puisque le verset l'appelle « Abraham, mon bien-aimé », n'a pas évité la punition de quelques paroles inconsidérées qu'il avait prononcées, ayant demandé : « comment saurai-je que je posséderai ce pays ? », le Saint, béni soit-Il, lui répondit : « Par ta vie, sache que tes descendants seront des étrangers… .»

Parce qu'il fait alliance avec Avimélekh sans l'ordre de D.ieu, le Saint, béni soit-Il, lui dit : « Par ta vie, sept générations passeront avant que tes enfants ne connaissent la joie. »

Jacob s'étant emporté contre Rachel qui lui disait : « Donne-moi des enfants », Dieu lui dit : «Est-ce ainsi qu'on répond à une femme dans l'affliction ? Par ta vie, tes fils se tiendront debout devant son fils . »

Jacob avait enfermé Dina dans un coffre pour la soustraire à Esaü  bien que l'intention était bonne, mais du fait qu'il priva son frère d'un bienfait Dieu dit : «A celui qui se consume de chagrin devrait aller la sympathie de ses amis. Tu n'as pas voulu pour elle d'un circoncis, elle sera prise par un incirconci.Tu n'as pas voulu pour elle d'un mariage légitime : elle sera prise de force. »

Joseph qui avait dit à l'échanson : « Souviens-toi de moi lorsque tu seras heureux » resta deux ans de plus en prison . Ayant fait embaumer le corps de son père sans l'assentiment divin, ou selon d'autres, ayant entendu sans protester ses frères dire : « Notre père, ton serviteur », il mourut avant eux.

David qui avait appelé « chants » les paroles de la loi en fut puni lors de l'accident d'Ouza qui vint troubler sa joie.

 Mikhal, pour avoir reproché à David d'avoir dansé en public devant l'Arche, mourut en mettant son enfant au monde.

Ezéchias qui exhiba ses trésors aux ambassadeurs du roi de Babylone fit le malheur de ses fils, condamnés à servir comme eunuques dans le palais de ce roi. Les exemples de ce genre abondent.

 Rabbi Yo'hanan, disent nos Sages, pleurait chaque fois qu'il lisait ce verset: «Et je m'avancerai vers vous pour faire justice. Je me hâterai de témoigner contre les magiciens, les adultères, les parjures, contre ceux qui exploitent le salarié, les oppresseurs de la veuve et de l'orphelin, de l'étranger, et qui ne me redoutent point, dit le Seigneur . » « Que peut un serviteur, dit Rabbi Yo'hanan, à qui l'on tient la même rigueur des fautes légères que des fautes graves ? » Ce n'est pas que, selon lui, la punition soit la même pour toutes les fautes, car D.ieu punit selon la gravité de la faute.

  Il faut entendre que sur la balance de nos actions, le poids de nos fautes légères entre en ligne de compte comme celui de nos manquements graves et que ces derniers ne font pas oublier les autres. Le juge ne s'en détourne pas, mais, donnant une attention égale à chacun d'eux, il condamne et punit chaque faute, selon sa gravité. Le roi Salomon dit à ce sujet : « Car toute action, D.ieu la fera paraître en jugement, si cachée soit-elle, bonne ou mauvaise . » Car, pas plus qu'il n'oublie de récompenser une bonne action, si minime soit-elle, Dieu n'oublie pas de reprendre la faute, si vénielle soit-elle. Que cela fasse réfléchir quiconque se berce d'illusions et s'imagine que D.ieu ne nous jugera pas pour des peccadilles et ne nous en demandera pas un compte rigoureux. Car nos Sages enseignent : « Si l'instinct du mal te suggère : "Pèche et D.ieu te pardonnera", ne l'écoute pas», cela n'est que trop clair, puisque Dieu est un Dieu de vérité. Ainsi parlait Moïse notre maître : « Lui, notre Rocher, son œuvre est parfaite, toutes ses voies sont justes. Dieu fidèle, sans iniquité, juste et droit. » Puisque D.ieu veut la justice, il la violerait en détournant son regard soit du mérite soit de la faute. Aussi faut-il qu'il donne à chacun selon ses voies et selon ses œuvres avec la plus scrupuleuse exactitude, soit en bien, soit en mal. Voilà le « D.ieu fidèle sans iniquité, juste et droit», c'est-à-dire, selon nos Sages, pour les justes comme pour les méchants. Ainsi le veut Sa nature de juge universel, dont le châtiment atteint toute transgression et auquel on n'échappe pas.

Mais alors, diras-tu, que devient la miséricorde divine, puisque tous nos actes sont implacablement jugés ?

La réponse est la suivante: Il est certain que la miséricorde divine est le fondement du monde. Sans elle, il ne pourrait pas subsister un instant. Mais la justice n'en pâtit point. Et voici comment. D'après la justice stricte, il conviendrait que le pécheur soit puni immédiatement et sans délai après sa faute, que le châtiment lui-même soit lourd de tout le courroux que mérite un rebelle à la parole divine, enfin, qu'il n'y ait aucun moyen de réparer le mal. Car, en vérité, comment l'homme pourrait-il réparer ce qu'il a altéré, la faute une fois commise ? Le meurtre, l'adultère, comment les réparer ? Peut-on soustraire à l'existence un acte déjà commis ?

C'est ici que la miséricorde divine intervient pour changer totalement ces trois données. Un délai est accordé au pécheur, lui permettant de ne pas disparaître du monde aussitôt après la faute; le châtiment ne va pas jusqu'à l'anéantissement total, le repentir enfin est donné aux pécheurs, par un geste de pur amour divin qui agrée l'abolition de la mauvaise volonté, comme équivalent à l'abolition de l'acte lui-même. Si le pénitent, en effet, reconnaît sa faute, en fasse l'aveu, médite sur sa perversité, s'en détourne et en éprouve un regret sans réticence comme d'un voeu inconsidéré, si son désir le plus évident est que cet acte n'ait jamais été commis, et qu'un remords cuisant de l'avoir accompli tourmente son cœur, s'il l'exècre désormais et fuit loin de lui, le renoncement total auquel sa volonté aura consenti lui vaudra le pardon.

Tel est le sens du verset : « Ton péché a disparu, ta faute est effacée. » Car le péché disparaît alors véritablement du monde, comme extirpé par le remords et le regret du passé.

Sans doute cet acte d'amour ne dérive-t-il pas de la stricte justice. Mais il ne la contredit pas non plus. On peut admettre, en effet, qu'à la complaisance et à la jouissance dans le péché se substituent maintenant le regret et la souffrance.

De même le délai accordé à l'homme ne signifie pas rémission de son péché, mais tolérance passagère afin de laisser une porte ouverte à la réparation. Il en va de même pour d'autres actes d'amour divin, tels que l'indulgence accordée aux parents en vertu des mérites de leurs enfants, ou un châtiment partiel tenant lieu de châtiment total. Ils ne contredisent ni n'annulent l'exercice de la justice, car on peut leur trouver de bonnes justifications. Si, par contre, il y avait une rémission des péchés sans contrepartie, ou s'il n'en était pas tenu compte, ce serait la négation de toute justice. II n'y aurait plus ni droit, ni équité : c'est une pure impossibilité. Si le pécheur ne choisit pas une des voies dont nous avons parlé pour sauver son âme, la stricte justice fera nécessairement son office. «Il est longanime, mais il encaisse sa dette », disent nos Sages.

II s'ensuit que l'homme qui veut ouvrir les yeux, ne peut échapper par aucun prétexte à la nécessité de veiller sur ses actes avec l'attention la plus soutenue et de les examiner avec la plus grande minutie. Telles sont les considérations auxquelles l'homme doit se livrer : grâce à elles, il acquerra la vigilance, s'il est doué de sensibilité.

CHAPITRE 7 – DE LA MÉDISANCE ET DE LA CALOMNIE, DE LA RANCUNE ET DE LA VENGEANCE

1) Quiconque espionne son prochain pour rapporter ce qu'il a dit ou fait, transgresse une interdiction de la Loi. L'Écriture, en effet, déclare : «Ne va point colportant le mal parmi les tiens» (Lévitique  19, 16). Bien que cette transgression ne soit pas sanctionnée de la peine de flagellation, elle constitue une faute très grave qui provoque la mort de nombreux enfants d'Israël.
C'est pourquoi l'interdiction citée est aussitôt complétée comme suit : « Ne sois pas indifférent au danger de ton prochain »   (ibid.). Souve­nons-nous de ce qu'il arriva à Doég l'Édomite.


2) Qu'est-ce qu'un colporteur de paroles ? C'est une personne qui va d'un homme à un autre en rapportant à l'un les propos du second   : « Voici, dit-elle, le langage qu'a tenu un tel. De tel autre, j'ai entendu dire qu'il s'est exprimé de cette manière-ci ou là à ton sujet. »
Bien qu'il rapporte la vérité le colporteur de paroles n'en détruit pas moins le monde.

Il existe une autre faute qui relève de la défense de « propager des bruits contre son prochain » tout en étant infiniment plus grave que celle qui vient d'être analysée : c'est la médisance (lachone hara'). S'en rend coupable celui dont les paroles visent, même si elles sont véridiques, à déshonorer le prochain. Si ces imputations sont mensongères, il s'agit d'un calomniateur. Quant au diffamateur, c'est l'indi­vidu qui passe son temps à répandre des paroles de ce genre :

 « C'est de telle ou telle sorte qu'agit un tel. Il descend de gens qui étaient ceci, qui étaient cela; je lui ai entendu imputer ceci et puis ceci encore », tous propos qui tendent à le couvrir d'ignominie. C'est du diffa­mateur que l'Écriture déclare :

«Que D.ieu retranche  toutes les langues mielleuses, les lèvres qui s'expriment avec arrogance.»  Psaumes (12, 4.)


3) Les Sages ont dit: trois transgressions attirent le châti­ment sur l'homme dans ce monde et l'excluent du monde à venir.

Ce sont l'idolâtrie, les unions illicites, l'effusion de sang. Mais la médisance (lachone hara') est aussi grave que toutes les trois ensemble. Voici ce que les Sages ont dit encore : Quiconque s'adonne à la médisance,  peut être considéré comme reniant Dieu, comme il est dit:«Ceux qui disent :''Par notre langue nous triomphons, nos lèvres sont notre force : qui serait notre maître ?» Psaumes (12, 5.)

Nos Sages ont dit par ailleurs la médisance (lachone hara') tue trois personnes : celui qui propage les paroles malicieuses, celui qui accepte de les entendre, celui dont on parle, mais elle provoque la perte de celui qui accepte de les entendre plus désastreusement que celui qui les rapporte.


4) Il y a aussi des paroles qui, sans être exactement de la médisance (lachone hara')  en sont comme  la poussière de médisance.  Comment? Celui qui dit : «Qui peut prédire d'un tel qu'il serait comme le voici à présent !» ou «Passons un tel sous silence ! Je ne désire pas publier ce qu'il lui est advenu, ni ce qui s'est passé ! » ou d'autres paroles du même genre.

De même, quiconque parle favorablement de son prochain en présence de gens qui n'aiment pas cette per­sonne et que de tels propos vont inciter à en dire du mal, commet, lui aussi, commet une faute qui mérite d'être qualifiée de poussière de médisance (lachone hara'). Et c'est justement à propos d'un tel procédé que Salomon a dit : «Assourdir de grand matin son prochain par de bruyants saluts, c'est comme si on lui disait des injures.» (Proverbes 27, 14.)

Car c'est en disant du bien de lui, qu'il est arrivé à en faire dire du mal.

De même, c'est à celui qui profère des paroles de médisance, en manière de plaisanterie   ou  la légère, comme pour bien marquer qu'il n'y met point de haine, que Salomon fait allusion en ces termes : «Comme un dément qui lance des brandons, des flèches meurtrières, ainsi fait l'homme qui dupe son prochain et dit: Mais je plaisantais» (Proverbes 26, 18-19.)

Commet une faute analogue celui qui profère des paroles de médisance par tromperie, c'est-à-dire, en affectant de parler en toute innocence et en ayant l'air d'ignorer que les propos qu'il vient de tenir relèvent de la médisance. En cas de protestation, il affirmera qu'il n'avait pas conscience d'avoir mis en cause la conduite de la personne en question, ni d'avoir proféré des paroles de médisance.


5) Tenir des propos de médisance (lachone hara')  en présence de la victime ou hors de sa présence, c'est commettre exactement la même faute.

Font partie de la médisance (lachone hara') les paroles susceptibles si elles viennent à s'ébruiter, de causer un préjudice au corps ou aux biens du prochain, ou seulement de le plonger dans l'angoisse ou la terreur. En revanche, si ces propos ont été tenus en présence de trois personnes, l'affaire est considérée comme étant de noto­riété publique et si l'un des trois auditeurs la colporte, il ne se rend nullement coupable de médisance (lachone hara'), à condition toute­fois qu'il n'ait pas eu l'intention d'en propager la rumeur et d'en accroître la diffusion.


6) Tous ces auteurs médisance (lachone hara')  entrent dans la catégorie des personnes dans le voisinage desquels il est interdit de résider et que, à plus forte raison, on ne doit pas fréquenter ni écouter. Nos ancêtres n'ont été condamnés dans le désert que pour la médisance (lachone hara').


7) Qui se venge de son prochain transgresse une interdiction de la Loi. L'Écriture, en effet, déclare : « Tu ne te vengeras pas » (Lévitique, 19, 18). Bien que cette transgression n'entraîne pas la flagellation, l'esprit de vengeance est un défaut infiniment grave. Au contraire, il sied à l'homme de passer outre de tous les sujets  de ce bas monde, car les sages savent que tout n'est ici bas que vanité et futilité et que rien ne mérite de susciter aucune vengeance.

Comment caractériser la vengeance? Supposons que quel­qu'un demande à son prochain de lui prêter sa hache et qu'il en essuie un refus. Si le lendemain le voisin peu complaisant est à son tour contraint d'emprunter une hache à la personne à laquelle il avait refusé de prêter la sienne et que celle-ci lui réponde : «Je ne te la prête pas comme tu ne m'as pas prêté la tienne quand je te l'avais demandée», l'auteur de ces paroles est un vindicatif. Au contraire, la conduite louable est dans ce cas de prêter l'outil de bon cœur et de ne pas rendre la pareille à l'emprunteur qui s'était montré peu serviable. Il est facile de trouver d'autres exemples, mais voici les paroles que ses vertus morales inspiraient à David : «Ai-je rendu la pareille à qui m'a fait du mal, et dépouillé qui m'a pris en haine sans motif? (Psaumes 7, 5)


8) Celui qui garde rancune à son prochain transgresse lui aussi une interdiction de la Loi, comme il est dit: « Tu ne garderas pas rancune envers les fils de ton peuple » (Lévitique 19, 18).

Comment caractériser la rancune ? Supposons que Réouven dise à Chimon : « Loue-moi cette maison » ou « prête-moi ce bœuf » et que Simon refuse. Si quelque temps après Chimon vient chez Réouven, qu'il cherche à en obtenir une location ou un prêt et que Réouven lui dise : « Tiens, moi je t'accorde ce prêt, je ne fais pas comme toi et je ne te rends pas la monnaie de ta pièce », l'auteur de ces paroles transgresse l'interdiction de garder rancune.

Au contraire, la conduite louable est d'effacer de son cœur le mauvais procédé, loin d'en conserver le ressentiment. En effet, aussi longtemps que l'on ressent l'offense et qu'on en conserve la mémoire, on risque d'être induit à en tirer vengeance. C'est pourquoi la Loi s'oppose à la rancune au point d'exiger qu'on efface de son cœur tout grief et qu'on en bannisse totalement la mémoire. Voilà, face à la vengeance et à la rancune, la juste disposition morale grâce à laquelle subsistent la civilisation et le commerce mutuel des hommes.