Surmonter les épreuves
Esau prit Jacob en haine, à cause de la bénédiction dont son père l’avait béni. Et Esau se dit en lui-même : « Le temps du deuil de mon père approche. Je tuerai Jacob mon frère».
Le Midrach rapporte : les méchants sont tributaires de leur coeur, tel qu’il est dit : Esau se dit en son cœur (ici), Bilaam se dit en son coeur (Nombres), l’insensé se dit en son coeur (Psaume 14). Par contre, les sages sont maîtres de leur coeur, tel qu’il est dit : David dit à son cœur, ‘Hanna parlait à son coeur, et cela à l’exemple du Créateur. Et D.ieu dit à Son coeur.
Dans ce texte, l’expression hébraïque pour désigner la pensée intérieure est comprise par nos Sages comme une expression de l’identité de la personne qui pense. « Se dire en son coeur » signifie – écouter son coeur, se soumettre aux désirs de son coeur, de ses sentiments. Cela désigne le mode de pensée des mécréants. Par contre, « dire à son coeur », c’est maîtriser ses sentiments, faire triompher la raison sur le cœur : cela caractérise les sages. D’autant plus que la même expression est utilisée en parlant du Créateur.
Esau est classé ici dans la catégorie de ceux qui se laissent gouverner par leur coeur : ce son les impies. Pourquoi? Quels signes de méchanceté apparaissent-ils dans sa conduite? Esau ne mérite-t-il pas plutôt toute notre indulgence? C’est un homme qui a tout perdu dans la vie, brusquement et contre toute raison apparemment valable. A ses yeux, son frère Yaakov a usurpé le droit d’aînesse, et par conséquent, la bénédiction paternelle. Qu’aurions-nous fait à sa place ? Il fait preuve d’un grand courage et maîtrise son désir de vengeance jusqu’au deuil de son père. Qui est capable d’une telle maîtrise de soi? Est-il facile de se contenir de la sorte, si importante que soit la mitsva du respect des parents? Esau écoute la voix de son coeur et calme sa haine pour ne pas peiner son père. Est-ce là de la méchanceté? Est-ce là une raison pour le condamner à figurer parmi les impies?
Nos Sages ont une conception du comportement humain bien différente de la nôtre. Pour nous, un homme qui lutte et arrive à maîtriser ses mauvais penchants, à dominer ses tendances à la jalousie, à la haine, à la vengeance, est un homme qui sort de l’ordinaire, différent du commun des mortels. Nous dirons qu’il est un saint, qu’il fait plus que son devoir. Pourquoi pensons-nous ainsi? C’est parce que nous évoluons dans une société où les critères de conduite « normale » sont ceux qui sont dictés par le sentiment et non par la raison. La jalousie, l’instinct corporel et la course aux honneurs sont les bases de la réalité sociale. Toute conduite opposée à cette ligne est jugée comme une conduite de sainteté qui ne relève pas de la réalité de notre époque ni de notre société. Notre société est fondée sur la poursuite de biens matériels, animée de luttes sanglantes pour obtenir tout ce que le corps désire au détriment des principes de raison et de morale qui apparaissent certainement au cours de discours, et aux dissertations morales, sans jamais se traduire dans les faits. Tout comportement conforme aux principes moraux est l’apanage de personnes sages, illustres et rares.
C’est là que réside notre erreur. La Torah nous enseigne qu’il n’y a pas de vie possible si l’homme au moment de l’épreuve, ne manifeste pas ce qui le différencie de l’animal, s’il ne justifie pas le but de sa création, de sa venue au monde. L’homme peut disserter longuement sur le caractère nuisible de la colère mais s’il ne se maîtrise pas au moment où il a une raison quelconque de se mettre en colère, quel intérêt présente sa dissertation? De même, l’homme apparaît dans conduite quotidienne sous des dehors polis, voire nobles, mais quand il est aux prises avec la haine, le désir vengeance, il se laisse emporter par les penchants de cœur et devient méconnaissable. Ce n’est plus l’homme que tous connaissent, que tous honorent et respectent perd brusquement l’image de D.ieu, et ses réactions sont semblables à celles des animaux. Dominer ses mauvais penchants n’est pas l’apanage des justes, des saints : C’est le devoir impératif de tout être humain, du commun des mortels.
Il y a balance et balance. La balance qui pèse les actes de l’homme doit être plus exacte et plus délicate que celle du pharmacien. Une erreur infime peut exprimer des écarts inquiétants. Un homme pourrait croire qu’il est droit, intègre, sans reproches. Cette balance pourrait lui prouver qu’il est un criminel. Ainsi en est-il d’Esau. En apparence, il fait preuve de grandeur : il se retient de tuer son frère Yaakov sur le champ.
En réalité, son comportement n’a pas pour origine une motivation innocente pour diverses raisons : tout d’abord, Yaakov s’est sauvé. De plus, Esau a envoyé à ses trousses son fils Elifaz avec pour mission de supprimer l’oncle Yaakov.
Rivka a bien spécifié à Yaakov en lui recommandant de fuir le toit familial : Jusqu’à ce que ta colère de ton frère soit calmée. Il y a donc colère. Esau n’a donc pas maîtrisé sa colère, il est tributaire de ses penchants. Il attend le moment propice pour mettre ses desseins à exécution. L’apparence de maîtrise de sa colère n’est qu’une sombre machination. Il a peur d’éveiller la colère de son père, car il mesure la gravité de ses conséquences éventuelles. Après une analyse profonde, il s’avère donc que ce que nous avions cru être la grandeur d’ Esau, n’est que l’expression d’une nature corrompue à sa base. Notre aïeule Rivka l’a bien compris; et elle n’a pas trouvé d’autre solution que de conseiller à son fils Yaakov de fuir; pour échapper à un meurtre certain dont l’auteur ne serait l’auteur que Esau.
Le caractère d’ Esau a été ainsi défini par le prophète Amos : Parce qu’il a poursuivi son frère avec t’épée, étouffant toute pitié, parce que sa colère ne cesse de faire des victimes, et qu’il se complait dans une haine sans fin (Amos 1,11).
L’homme a le devoir de procéder à une introspection sévère afin d’être conscient de l’existence de ses penchants et du danger qu’ils recèlent, même s’il n’est pas en mesure de les maîtriser. Cela lui permettra d’être capable d’éviter l’embûche sur laquelle il avait trébuché. C’est en tirant la leçon des échecs du présent, qu’il s’acheminera vers la perfection humaine, qui ne s’acquiert qu’en surmontant toute épreuve. Il faut réussir à affirmer sa maîtrise sur son coeur, à faire triompher la raison sur le sentiment.
(adapté à partir de Ethique et Pratique dans le Pentateuque)