echelle

PARACHAT VAYETSE 5775

L’échelle de la vie

Il (Yaakov) eut un rêve que voici : Une échelle était dressée sur la terre, son sommet atteignait le ciel, et des anges divins montaient et descendaient le long de cette échelle.

(Genèse 18, 12)

Yaakov part pour ‘Haran, sur l’ordre de ses parents pour prendre une épouse parmi les filles de son oncle Lavane. Ayant fait halte en chemin, il s’endort et fait un rêve lourd de sens : Il y voit une échelle, dont le sommet atteint le ciel et sur laquelle montent et descendent des Anges célestes.

Quelle est la signification d’un tel rêve à un moment où Yaakov se trouve à la croisée des chemins ? Yaakov quitte le pays de Canaan, sa famille, son milieu et ses habitudes pour s’engager dans une voie nouvelle, tout à fait différente de celle qu’il a connue jusqu’à présent. Il va fonder un foyer, élever des enfants, travailler et vivre auprès de son beau-père, rencontrer Êssav son frère, autant d’épreuves qui exigent une force de caractère peu commune. La vie se présente à Yaakov comme une échelle, qu’il peut gravir ou descendre, à sa guise, et selon ses forces. S’il est en mesure de surmonter les difficultés et les tentations avec la force morale requise, il connaîtra l’ascension spirituelle mais si, au contraire, il se montre trop faible, il risque la déchéance.

C’est ainsi que doit être envisagée toute épreuve morale, toute expérience humaine, toute vie : dans le sens d’une descente ou d’une montée. Dans le premier cas, c’est la chute morale, la perte des valeurs. Dans le second cas, c’est l’élévation spirituelle, la progression dans les valeurs morales de sainteté, de pureté et d’attachement à D.ieu. L’homme, quel qu’il soit, risque, à tout moment au cours de son ascension, de trébucher et de tomber, et cela même s’il est parvenu à la perfection spirituelle du Juste.

Dans notre texte, Yaakov nous est présenté comme un juste, un fait qui est confirmé à deux reprises par le commentaire de nos Sages : Tout d’abord au verset 10, à propos de son départ de Béer Chéva, Rachi rapporte : Dans quel but nous parler de son départ ? C’est pour nous dire que le départ d’un tsadik, d’un Juste, fait impression dans la ville. Tant que le Juste est dans la ville, c’est lui qui est sa beauté, c’est lui qui est son éclat, c’est lui qui est sa majesté…. Au verset 17 : Le Saint béni soit Son Nom a dit : « Ce tsadik ce Juste viendrait dans Ma demeure et s’en irait sans y passer la nuit ! » C’est D.ieu Lui-même qui confère à Yaakov le titre de tsadik. Mais l’homme, lui, n’aura jamais, à aucun moment de sa vie, la certitude de sa perfection morale, de son «succès» spirituel : Dieu seul peut juger et trancher.

Yaakov a compris le sens du message qui lui est adressé dans le songe de l’échelle. Il sait qu’il va devoir affronter maintes difficultés et surtout se mesurer à un ordre de choses tout à fait nouveau. Aussi, avant d’arriver à ‘Haran, il fait un détour par la Yéchiva de ‘Ever : il y passe quatorze années entières à étudier la Torah et y puise les forces spirituelles nécessaires pour affronter Lavane, puis, plus tard, son frère Êssav. Les richesses spirituelles qu’il a acquises durant ces intenses années d’étude lui seront également essentielles pour établir son foyer et élever ses nombreux enfants dans ce milieu hostile qu’est la maison de Lavane.

Yaakov s’est fixé encore un signe, un point de repère pour ne jamais trébucher sur cette voie semée d’embûches : Il se promet de ne jamais oublier le sens véritable des événements et de toujours voir en toutes choses la marque de la Providence Divine. Yaakov prononça un voeu en ces termes : si D.ieu est avec moi, et qu’il me protège dans la voie où je marche, s’il me donne du pain à manger et des vêtements pour me couvrir, si je retourne en paix à la maison de mon père, et que l’Eternel soit pour moi D.ieu, alors, cette pierre que je viens d’ériger en monument deviendra la maison de D.ieu et, tous les biens que Tu m’accorderas, je veux T’en offrir la dîme. (ibid. 20)

Est-ce là, tout le sacrifice que Yaakov est prêt à faire ? Est-ce tout, ce qu’il est prêt à payer en retour de tous les bienfaits, qu’il souhaite recevoir de D.ieu ? Cela s’appelle-t-il de la générosité ? Alors qu’il est en proie au dénuement le plus total, au plus profond de la détresse, il se tourne vers D.ieu pour Lui demander de l’aider. Et que Lui promet-il en retour ? La dîme ! Un dixième de ce qu’il recevra ! Imaginerions-nous une personne, démunie de tout, qui solliciterait l’aumône, et exprimerait sa grandeur d’âme en suppliant son bienfaiteur : «Accorde-moi un million d’euros ! En reconnaissance, je te donnerai cent mille !»

Très souvent, les hommes sont tellement convaincus que tous leurs biens, leurs acquisitions et leurs réussites matérielles sont le fruit de leurs efforts personnels, de leur intelligence supérieure, de leur zèle et de leur sens inné des affaires qu’ils finissent par avoir le sentiment inébranlable de leur maîtrise et de leur supériorité… au point d’oublier le principal instigateur de toutes choses, le Maître du monde. Ils sont sûrs en leur for intérieur que : C’est ma propre force, c’est le pouvoir de mon bras qui m’a valu cette richesse (Deutéronome 8, 17). Mais la Torah met en garde énergiquement contre une telle attitude : Garde-toi d’oublier l’Eternel, ton D.ieu, de négliger Ses préceptes, Ses institutions et Ses lois… (ibid. 8, 11).

Aux yeux de Yaakov, telle ou telle somme d’argent n’a pas d’intérêt. Sa pensée est beaucoup plus profonde et se situe à un autre niveau : donner la dîme n’est ni une expression de générosité, ni de reconnaissance. La somme n’a ici aucune importance. Ce qu’il veut affirmer, c’est l’idée de la suprématie divine sur toute chose, sur tout bien, sur tout événement : je suis conscient que Tu es Celui qui donnes ; tout ce que j’ai, me vient de Toi seul ; rien n’est dû à mon pouvoir ou à mes capacités personnelles. Ce sont là les pensées de Yaakov en ce moment de profonde détresse. A cet instant même il prend la ferme décision de demeurer en communion avec D.ieu, malgré tout, et de donner la dîme de tout ce qu’il gagnera. Yaakov exprime ainsi sa foi inébranlable envers D.ieu.

Cela nous conduit à la conclusion que J’homme doit à tout moment s’en remettre totalement à D.ieu. De ce fait, tous les soucis quotidiens s’effacent, et les angoisses s’envolent. Un petit morceau de pain trouvé au bon moment, un vêtement cousu à point nommé sont autant de signes de la Providence Divine. Mal interprétés, ils peuvent conduire, qu’à D.ieu ne plaise, à l’hérésie.

Mais, s’ils sont lus correctement, ils révéleront la présence du divin dans le quotidien le plus banal.

Fidèle à cette voie, Yaakov a réussi à insuffler sa foi sans faille, à ses épouses. Celles-ci ont su donner à leurs enfants des noms qui rappelaient la manifestation de la Main Divine au cours de leurs expériences douloureuses. La signification littérale de chaque nom correspond à l’événement vécu. Réouven : D.ieu a vu mon humiliation ; Chim’one : D.ieu a entendu que fêtais dédaignée. Lévi : Désormais mon époux me sera attaché. Quelle est la femme qui accepterait de perpétuer son humiliation à travers le nom de son fils ? Léa nous en a donné la leçon. Ra’hel a, elle aussi, donné des noms chargés de signification Yossef : D.ieu a effacé ma honte. D.ieu est perçu à chacune de leurs pensées. La naissance d’un enfant devient l’occasion d’y voir un don de l’Eternel, de s’en réjouir et d’en remercier le Créateur. Or, cela aurait pu être l’occasion de descendre les échelons de l’échelle si on ne percevait dans cet événement qu’un simple phénomène naturel permettant de perpétuer l’espèce ou d’assurer la continuité de l’affaire familiale.

Un autre épisode magnifique se trouve à la fin de notre section. Lavane s’est lancé à la poursuite de Yaakov. Il fouille dans tous ses effets pour trouver les objets dérobés. Quelle humiliation ! Il ne trouve rien. Yaakov devrait saisir l’occasion de se mettre en colère et de reprocher vivement à Lavane sa conduite ridicule ! Or, que nous révèlent nos Sages ? La colère des ancêtres a plus de valeur que la modestie des enfants. Où voyons-nous la colère des ancêtres ? Yaakov s’emporta et se plaignit à Lavane (Genèse, 35) : Croyez-vous qu’il y ait eu là des échanges de coups et de blessures ? Au contraire, Yaakov apaise la colère de Lavane : «Quel est mon crime, quelle est ma faute pour que tu t’acharnes contre moi ? Après avoir fouillé dans toutes mes affaires, qu’as-tu découvert qui appartienne à ta maison ?

Yaakov, dont la colère est justifiée, s’excuse auprès de Lavane et cherche à gagner son coeur. Nos Sages ont exalté la colère de Yaakov. Ils ont approuvé l’ancêtre Yaakov qui est fidèle à l’enseignement reçu au cours du «songe de l’échelle».

Yaakov a appris à dominer ses sens ; il en est le maître. Il voit dans chaque événement la main de D.ieu. Il s’élève de degré en degré, dans la foi en D.ieu, jusqu’à la communion parfaite. Dans l’échelle de la vie, il a choisi un seul sens : Celui de l’ascension. C’est la fonction que remplit l’échelle dans son songe. Il nous a enseigné comment emprunter l’échelle de la vie.

 

(adapté à partir des Lectures Chabbatiques)

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