« יְבָרֶכְךָ ה’ וְיִשְׁמֶרְךָ »
« Que D.ieu te bénisse et te protège »
« יָאֵר ה’ פָּנָיו אֵלֶיךָ וִיחֻנֵּךָּ »
« Que D.ieu fasse rayonner Sa face vers toi et Te soit bienveillant »
« יִשָּׂא ה’ פָּנָיו אֵלֶיךָ וְיַשֵּׂם לְךָ שָׁלוֹם »
« Que D.ieu tourne Sa face vers toi… et t’accorde la paix »
(Nombres 6, 24-26)
Que D.ieu te bénisse et te protège!
Rachi explique : «Que ta fortune soit bénie et que ne t’attaquent pas des brigands pour voler ta fortune ;
Car celui qui fait un cadeau à son esclave ne pourra pas le protéger contre tout le monde, et, si des brigands l’attaquent, quel profit en aura-t-il ? Mais le Saint, béni soit-il, est à la fois Celui qui donne et Celui qui protège. »
Cette première bénédiction se rapporterait donc aux biens matériels ; donner et protéger sont ici l’essentiel : quand on donne à quelqu’un un bien matériel, encore faut-il le protéger de toutes les influences destructrices, מן המזיקין ! sinon il y a le risque que : « celui, qui acquiert l’opulence par un procédé inique, au beau milieu de ses jours devra l’abandonner, et sa fin sera misérable» (Jérémie17,11). Nous avons donc, pour commencer, des bénédictions d’ordre tant physique que financier ou matériel.
Le chemin suivi va « de bas en haut » selon l’expression de Ba’hya, puisqu’on en arrive ensuite aux bénédictions spirituelles dans le sens le plus élevé, pour atteindre leur sommet sous la forme la plus perfectionnée, qui est le שלום, la paix. Telle est la conception idéale, qui réunit toutes les bénédictions, spirituelles et matérielles, en un seul faisceau. Mais Na’hmanide estime que les bénédictions cheminent « du haut vers le bas », car la première bénédiction de chaque membre de la trilogie est une émanation du Ciel, la dernière comblant l’homme en bas. « Que D.ieu te bénisse, qu’il fasse rayonner Sa face vers toi, qu’il tourne Sa face vers toi » sont des bénédictions qui s’exercent au niveau du ciel ; tandis que « D.ieu te protège, te soit bienveillant, t’accorde la paix » s’exerce sur terre.
Que D.ieu fasse rayonner Sa face vers toi…
Rachi explique : « Qu’Il te fasse voir une face souriante et rayonnante ». Ceci est une très haute bénédiction, complétée dans le Midrach par les précisions suivantes : « Qu’Il te prête de la lumière de la Chekhina, de celle de la Torah, et te donne des enfants qui soient érudits en Torah ». Cette bénédiction se traduit par des dons sur le plan spirituel.
…et Te soit bienveillant!
Comme dit Rachi : « Qu’Il te soit favorable », textuellement « qu’Il te donne du חן » c’est-à-dire du charme personnel. Cette distinction est réservée à ceux qui ont le mieux su mériter l’amitié de D.ieu, même si elle ne repose pas toujours sur un motif rationnel.
Aussi cette bénédiction comporte-t-elle l’évanouissement du עין הרע, « le mauvais œil » qui peut faire du tort à l’homme; elle se meut dans l’irrationnel. Quand D.ieu donna à Israël la Torah, Il le fit en grand public, ce qui eut pour résultat que les deux tables de la Loi furent brisées au pied de la montagne sous une trop forte influence du « mauvais regard ». C’est pourquoi, pour l’inauguration du Tabernacle, D.ieu procéda autrement : Il donna d’abord Sa bénédiction à Israël, ce qui dissipa les effets du « mauvais œil» et permit l’achèvement de l’érection du Tabernacle.״. (Nombres Rabba, 12, 4).
Dans cet ordre d’idées, la bénédiction pastorale a également le pouvoir de dissiper les effets d’un mauvais rêve. Le midrach dégage cela de l’image contenue dans le Cantique des Cantiques (3,7-8) : «Voyez, c’est la litière de Salomon ! Elle es: entourée de soixante braves, d’entre les héros d’Israël ; ils sont tous armés du glaive, experts dans les combats ; chacun porte le glaive au flanc, à cause des terreurs nocturnes. » Les soixante braves, dont parlent ces versets, sont les soixante lettres de la bénédiction ; elles représentent, toutes, les héros d’Israël, et sont armées de glaive, expertes dans les combats, parce que toutes les lettres combattent ensemble avec nom de D.ieu. C’est pourquoi, si quelqu’un a eu un mauvais rêve et qu’il sente comme une épée lui rentrer dans le flanc, il doit se lever et écouter la bénédiction des prêtre. Alors aucun mal ne lui arrivera. Il suffit que les prêtres prononcent la bénédiction ; pour que les effets (des mauvais rêves) se dissipent. (Nombres Rabba 11,)
Que D.ieu tourne Sa face vers toi… et t’accorde la paix!
Rachi commente : « En réprimant Sa colère » . Celui gui est courroucé contre quelqu’un détourne son visage : lever les yeux vers une personne indique qu’on ne lui veut pas du mal. Ce geste de paix semble donc une véritable bénédiction : la paix peut résulter de données naturelles, mais, qu’un individu la désire et soit empêché par son mauvais voisin de l’acquérir, alors la paix ne peut être l’effet que d’un acte providentiel.
Il est possible aussi que l’intervention providentielle se manifeste dans le sens du midrach cité plus bas. Il est dit ici : « que D.ieu tourne Sa face vers toi »; comment concilier ces termes avec ce qu’on trouve au Deutéronome 10,17, dans une description des qualités divines : « D.ieu ne tourne Sa face vers qui que ce soit » ? D.ieu, répond le midrach (Nombres Rabba, 11,14), ne saurait rester insensible ; mais II ne tourne Sa face vers Israël que si celui-ci fait un geste qui Lui soit agréable : si, au lieu de te contenter de rendre grâce à D.ieu comme le demande la Torah « quand tu auras mangé et seras rassasié », tu le fais dès après avoir consommé la mesure d’une olive ou d’un œuf, alors D.ieu se montrera bienveillant à son tour en te gratifiant du plus beau cadeau qui puisse se trouver sur terre, la paix.
….et t’accorde la paix!
Cette bénédiction s’applique aussi bien à la paix individuelle qu’à celle qui doit régner dans la famille et dans la nation, et même à la paix universelle.
L’exemple de cette paix nous est fourni dans le firmament qui nous entoure עושה שלום במרומיו : D.ieu institue la paix parmi les milliers d’étoiles qui se trouvent là-haut, et aussi parmi les éléments qui sont des adversaires déclarés : le feu et l’eau. Nous levons nos regards vers les cieux ; chaque jour nous admirons cette harmonie.
Mais alors se pose la question : pourquoi dans le domaine humain la paix figure-t-elle toujours en fin de prière ? Car, comme c’est le cas ici, ainsi en est-il dans les « chemoné esré », dans le Qaddich, dans les actions de grâces après les repas ; c’est également le cas dans l’éniunération des sacrifices, où les שלמים sont cités en dernier (Lévitique. 7,37).
La paix apparaît comme l’objectif suprême, puisque les שלמים, dont le nom dérive de שלום, sont destinés à rétablir la paix entre la créature et son Créateur, entre l’homme et son prochain, entre l’individu et sa conscience. Pour nos Sages, la paix n’est pas une simple donnée de la création, ni une loi de la nature ; elle n’est pas davantage une doctrine morale de pacifisme à outrance, consistant à la rechercher à n’importe quel prix, que ce soit en abandonnant des principes sacrés ou en renonçant catégoriquement à l’emploi de la force. Elle suppose, au contraire, un effort permanent de la part de l’homme pour parvenir à une situation où les antagonismes, les conflits et les contradictions de la société soient enfin surmontés, et où les éléments qui sont à leur base deviennent les composantes du vaste système d’harmonie universelle, couronné par le Royaume de Dieu sur terre. Voilà donc pourquoi la paix apparaît dans nombre de nos prières comme l’ultime bénédiction (d’après Ikkarim, 4,51).
Rabbi Josué ben Lévi la compare au ferment dans la pâte ; il la considère comme l’élément promoteur du mouvement et du progrès au sein de la société. Depuis que la paix et l’harmonie, qui régnaient au Paradis, ont été brisées par suite du péché originel, les hommes ont la tâche permanente de les reconstituer dans leur splendeur initiale et de consacrer à cette tâche le meilleur d’eux-mêmes. La paix demeure le grand idéal universel dont la réalisation dépend de la volonté des hommes et de la bénédiction divine.
(adapté a partir de LA VOIX DE LA TORAH)