La Torah commande aux enfants d’Israël d’offrir le sacrifice de l’agneau et leur dicte la manière de le consommer ensuite : N’en mangez pas qui soit à demi-cuit, ni bouilli dans l’eau; mais seulement rôti au feu, la tête avec les jarrets et les entrailles. Vous n’en laisserez rien pour le matin (Exode, XII, 9).
Le commentateur Ibn Ezra voit dans ce verset une sorte de discussion entre notre maître Moïse et les Hébreux. Moïse transmet l’ordre divin d’immoler l’agneau pascal. Les Hébreux disent : il vaut mieux ne pas provoquer la colère des Egyptiens : mangeons-le à demi-cuit, pour ne pas éveiller l’attention. – N’en mangez pas qui soit à demi-cuit. – Mettons-le à bouillir dans l’eau, car, cuit ainsi dans une marmite couverte, il ne dégagera pas d’odeurs fortes. – Ni bouilli dans l’eau, mais seulement rôti au feu. – Alors, rôtissons- le au feu par petits morceaux pour que sa cuisson ne fasse pas beaucoup de fumée dans le pays d’Egypte. - La tête avec les jarrets et les entrailles. – Il faut que toute l’Egypte soit couverte par la fumée qui se dégage du rôtissage de ces innombrables agneaux et vous verrez que les Egyptiens seront incapables de lever le petit doigt contre vous. – Alors, nous le consommerons lentement, en partie seulement, afin d’en garder une part pour plus tard. – Vous n’en laisserez rien pour le matin. Il est également commandé aux Hébreux de ne pas briser les os, comme le font les gens affamés, mais de le manger à la manière de riches qui ne regardent pas à la dépense.
Ce sont donc des mesures draconiennes qui sont imposées aux enfants d’Israël pour extirper complètement la peur de leur cœur. Les voilà libérés de toutes les servitudes, de tous les mauvais traitements. Désormais, les Egyptiens ne sont plus leurs maîtres. Mais les Hébreux ne peuvent jouir de la délivrance, tant qu’ils sont passifs, sans initiative, ni dynamisme. Il faut qu’ils participent activement à leur propre libération. C’est ainsi qu’ils sont appelés à se livrer à des exercices tendant à extirper la peur qui les domine. Ce n’est que lorsqu’ils auront prouvé, par leurs actes leur confiance absolue en D.ieu que la bienveillance divine se manifestera et qu’ils seront délivrés.
Ce n’était certes pas tâche facile, car, la crainte des Egyptiens était si profondément ancrée en eux, qu’il leur aura fallu par la suite, pas moins de quarante années dans le désert, jusqu’à l’arrivée des nouvelles générations, pour avoir le courage de partir à la conquête de leur future patrie et être aptes à assumer le gouvernement. Dans le désert, à la première difficulté, ils expriment leur mécontentement en disant : Mieux vaudrait pour nous continuer à vivre asservis par les Egyptiens que de mourir en ce désert. Il faut beaucoup de temps à ce peuple, beaucoup d’actes répétés pour extirper complètement la peur enracinée en lui pendant plus de deux siècles, et pour qu’il se constitue une nouvelle nature, débarrassée de la gangue égyptienne, ouverte et prête au service de D.ieu.
C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les multiples commandements relatifs à la fête de Pessa’h. Nous avons l’obligation de consommer des matsot et du maror, de boire quatre coupes de vin, de réciter des prières bien spécifiques, de faire le récit détaillé de la sortie d’Egypte.
Pourquoi avons-nous besoin de tant de symboles pour nous remémorer la sortie d’Egypte ? Un seul d’entre eux ne serait-il pas suffisant, comme c’est le cas pour les autres fêtes ? A ce sujet, le Séfer Ha’hinoukh (mitsva 16) explique : Ne pense pas mon fils à demander pourquoi il faut tant de signes pour nous souvenir du miracle de la délivrance. Ne crois pas qu’un seul signe serait suffisant. C’est là une pensée puérile. Sache que la nature de l’homme est forgée par ses actes. Son coeur et ses pensées sont attachés aux actions qu’il exécute, que ce soit pour le bien ou pour le mal Même un mécréant absolu, s’il décide pour une raison quelconque de commencer à faire et à refaire les bonnes actions, sentira clairement que ses actes influent sur sa nature et, inévitablement, il redeviendra un bon croyant. De même, une personne juste et intègre qui s’est consacrée à plusieurs reprises à des exercices douteux, verra sa nature influencée par ses actes, et deviendra méchante. En nous commandant d’accomplir plusieurs mitsvot pour nous souvenir de la sortie d’Egypte, D.ieu a voulu que ces mitsvot forgent notre âme et notre nature et nous aide à devenir des hommes meilleurs.
C’est en nous livrant sans cesse à des actes imprégnés de la crainte de D.ieu, que s’affermira notre confiance en Dieu, comme l’a dit le roi David :
De David, Hachem est ma lumière et mon salut : de qui aurais-je peur? D.ieu est le rempart qui protège ma vie : Qui redouterais-je ? (Psaume 27).
Multiplier les mitsvot, accomplir de nombreuses bonnes actions, renforcer constamment sa foi en D.ieu, voilà les moyens de dominer la peur.