Il (Yaakov) vit dans son songe : une échelle dressée sur la terre, son sommet atteignait le ciel ; et des messagers divins montaient et descendaient le long de cette échelle (Genèse 28, 12).
Nos Sages ont souligné l’importance de l’échelle dans ce récit biblique. . Nous voudrions comprendre la dimension symbolique de l’échelle elle-même, de cet objet qui permet aux hommes de monter et de descendre.
Au début de la sidra, il est dit : Yaakov part pour ‘Haran, sur l’ordre de ses parents pour prendre une épouse parmi les filles de son oncle Laban. Ayant fait halte en chemin, il s’endort et fait un rêve lourd de sens : il y voit une échelle plantée en terre, dont le sommet atteint le ciel et sur laquelle montent et descendent des Anges célestes.
Quelle est la signification d’un tel rêve à un moment où Yaakov se trouve à la croisée des chemins ? Yaakov quitte Erets Israël, sa famille, son milieu et ses habitudes pour s’engager dans une voie nouvelle, tout à fait différente de celle qu’il a connue jusqu’à présent. Il va fonder un foyer, élever des enfants, travailler et vivre auprès de son beau-père, rencontrer Esau son frère, autant d’épreuves qui exigent une force de caractère peu commune ; la vie se présente à Yaakov comme une échelle, qu’il peut gravir ou descendre, à sa guise, et selon ses forces. S’il est en mesure de surmonter les difficultés et les tentations avec la force morale requise, il connaîtra l’ascension spirituelle mais si, au contraire, il se montre trop faible, il risque la déchéance.
C’est ainsi que doit être envisagée toute épreuve morale, toute expérience humaine, toute vie : dans le sens d’une descente ou d’une montée. Dans le premier cas, c’est la chute morale, la perte des valeurs. Dans le second cas, c’est l’élévation spirituelle, la progression dans les valeurs morales de sainteté, de pureté et d’attachement à D.ieu. L’homme, quel qu’il soit, risque, à tout moment au cours de son ascension, de trébucher et de tomber, et cela même s’il est parvenu à la perfection spirituelle du Juste.
Dans notre texte, Yaakov nous est présenté comme un tsadik, un fait qui est confirmé à deux reprises par le commentaire de nos Sages : tout d’abord au verset 10, à propos de son départ de Béér Chéva, Rachi rapporte :
Dans quel but nous parler de son départ ? C’est pour nous dire que le départ d’un d’un Juste, fait impression dans la ville. Tant que le Juste est dans la ville, c’est lui qui est sa beauté, c’est lui qui est son éclat, c’est lui qui est sa majesté…. Au verset 17 : Le Saint béni soit Son Nom a dit : « Ce tsadik — ce Juste — viendrait dans Ma demeure et s’en irait sans y passer la nuit ! » C’est D.ieu Lui-même qui confère à Yaakov le titre de tsadik. Mais l’homme, lui, n’aura jamais, à aucun moment de sa vie, la certitude de sa perfection morale, de son «succès» spirituel : D.ieu seul peut juger et trancher.
Yaakov a compris le sens du message qui lui est adressé dans le songe de l’échelle. Il sait qu’il va devoir affronter maintes difficultés et surtout se mesurer à un ordre de choses tout à fait nouveau. Aussi, avant d’arriver à ‘Haran, il fait un détour par la Yéchiva de ‘Ever : il y passe quatorze années entières à étudier la Torah et y puise les forces spirituelles nécessaires pour affronter Laban, puis, plus tard, son frère Esau. Les richesses spirituelles qu’il a acquises durant ces intenses années d’étude lui seront également essentielles pour établir son foyer et élever ses nombreux enfants dans ce milieu hostile qu’est la maison de Laban.
Yaakov s’est fixé encore un signe, un point de repère pour ne jamais trébucher sur cette voie semée d’embûches : il se promet de ne jamais oublier le sens véritable des événements et de toujours voir en toutes choses la marque de la Providence Divine. Yaakov prononça un vœu en ces termes : si D.ieu est avec moi, et qu’il me protège dans la voie où je marche, s’il me donne du pain à manger et des vêtements pour me couvrir, si je retourne en paix à la maison de mon père, et que !Eternel soit pour moi D.ieu, alors, cette pierre que je viens d’ériger en monument deviendra la maison de D.ieu et, tous les biens que Tu m’accorderas, je veux T’en offrir la dîme. (ibid. 20)
Est-ce là tout le sacrifice que Yaakov est prêt à faire ? Est-ce tout ce qu’il est prêt à payer en retour de tous les bienfaits, qu’il souhaite recevoir de D.ieu ? Cela s’appelle-t-il de la générosité ? Alors qu’il est en proie au dénuement le plus total au plus profond de la détresse, il se tourne vers D.ieu pour Lui demander de l’aider. Et que Lui promet-il en retour ? La dîme ! un dixième de ce qu’il recevra ! Imaginerions-nous une personne, démunie de tout, qui solliciterait l’aumône, et exprimerait sa grandeur d’âme en suppliant son bienfaiteur : «Accorde-moi un million ! En reconnaissance, je te donnerai cent mille !»
Très souvent, les hommes sont tellement convaincus que tous leurs biens, leurs acquisitions et leurs réussites matérielles sont le fruit de leurs efforts personnels, de leur intelligence supérieure, de leur zèle et de leur sens inné des affaires qu’ils finissent par avoir le sentiment inébranlable de leur maîtrise et de leur supériorité… au point d’oublier le principal instigateur de toutes choses, le Maître du monde. Ils sont sûrs en leur for intérieur que : C’est ma propre force, c’est le pouvoir de mon bras qui m’a valu cette richesse (Deutéronome 8, 17). Mais la Torah met en garde énergiquement contre une telle attitude : Garde-toi d’oublier Hachem, ton D.ieu, de négliger Ses préceptes, Ses institutions et Ses lois… (ibid. 8, 11).
Aux yeux de Yaakov, telle ou telle somme d’argent n’a pas d’intérêt.
Sa pensée est beaucoup plus profonde et se situe à un autre niveau : donner la dîme n’est ni une expression de générosité, ni de reconnaissance. La somme n’a ici aucune importance. Ce qu’il veut affirmer, c’est l’idée de la suprématie divine sur toute chose, sur tout bien, sur tout événement : je suis conscient que Tu es Celui qui donnes. Tout ce que j’ai, me vient de Toi seul ; rien n’est dû à mon pouvoir ou à mes capacités personnelles. Ce sont là les pensées de Yaakov en ce moment de profonde détresse. A cet instant même il prend la ferme décision de demeurer en communion avec D.ieu, malgré tout, et de donner la dîme de tout ce qu’il gagnera. Yaakov exprime ainsi sa foi inébranlable envers D.ieu.
(adapté a partir des Leçons Chabbatiques)