Maïmonide commente ainsi la mitsva de l’offrande des prémices :
« Les prémices du blé, du vin et de l’huile (Deutéronome 18,4), les prémices de la pâte (Nombres 15,20), celles des fruits (Exode 23, 19), les prémices de la toison des brebis (Deutéronome18,4), autant de pratiques qui consacrent à D.ieu le premier produit de toute chose, ont pour but de développer chez l’homme la générosité, le sens de la gratitude et de diminuer chez lui le désir de nourriture et l’instinct de propriété… La récitation du texte qui accompagne l’offrande contribue, elle aussi, à développer des sentiments d’humilité : elle fait savoir à l’homme qui proclame, la corbeille sur l’épaule, les bontés de D.ieu, qu’il se trouve à Son service, elle lui rappelle, dans la prospérité, les difficultés et les épreuves qu’il, a traversées. A plusieurs reprises nous voyons la Torah mettre l’accent sur ce point «Tu te souviendras que tu as été esclave en Egypte », (Deutéronome 5,15) par crainte des défauts bien connus qu’engendrent la richesse et la facilité : l’insolence, l’orgueil, l’abandon des bons principes.
C’est pour prévenir cela que D.ieu a ordonné que, chaque année, ces versets de rappel soient récités devant Lui lors de l’offrande des prémices. La Torah, dans le même esprit, insiste sur la nécessité de rappeler perpétuellement les plaies qui frappèrent les Egyptiens : « afin que tu te souviennes toute ta vie du jour où tu es sorti du pays d’Egypte» (ibid. 16,3); «pour que tu racontes à ton fils… ce que J’ai fait aux Egyptiens» (Exode 10,2). Son attitude s’explique et se justifie ici par la nature des événements rappelés: ils attestent la vérité de la prophétie et de la doctrine de la rémunération.» (Guide des Egarés 111,39).
L’auteur de Aqédat Yits’haq développe avec plus de netteté un point de vue analogue :
Reconnaître l’existence de D.ieu, c’est avant tout confesser qu’il est la source de tout bien et que la force de l’homme et la puissance de son bras ne sont pour rien dans sa réussite. Penser différemment, c’est rejeter du même coup le joug et la crainte de D.ieu et s’exposer à toutes les conséquences funestes résultant de cette attitude. Aussi la Torah met-elle en garde contre l’idée, qui, après un séjour prolongé dans le pays, pourrait faire dire en Israël : « c’est ma propre force, c’est le pouvoir de mon bras qui m’a valu cette richesse» (Deutéronome 8,17), lorsque les nouvelles générations auraient oublié les prodiges accomplis par D.ieu pour amener Israël sur sa terre. C’est la raison pour laquelle fut institué un rite destiné à rappeler à jamais qu’« à D.ieu appartient la terre et tout ce qu’elle renferme» Psaumes 24,,1), qu’elle est un don gracieux accordé par Lui à Israël, et que sa prospérité est, à tout instant, Son œuvre…
L’offrande des prémices et toute offrande du même ordre manifestent, en effet, la souveraineté du D.ieu suprême.
Le but de ce rite est d’amener l’homme à maîtriser ses appétits. Etant donné qu’il a une prédilection pour les premiers fruits « comme les premiers fruits d’un figuier» ( Osée 9,10), «comme une primeur qu’on aperçoit avant la récolte, et qui, à peine dans la main, est aussitôt avalée» (Isaïe 28,4), D.ieu lui ordonne de dominer ses instincts, de s’abstenir de manger ces fruits et de les consacrer au Très-Haut. Le texte même de la Torah marque la correspondance entre le bienfait accordé par D.ieu, «Il nous a amenés dans ce lieu» (Deutéronome 26,9), et l’offrande des prémices, «et maintenant, voici que j’apporte les prémices des fruits du sol que Tu m’as donné, ô Eternel ».
Quant à S. R. Hirsch, il décrit le sens du commandement des prémices de la manière suivante : « Aucun autre passage de notre Bible ne démontre mieux le caractère spécifique du paysan de la terre juive, que ces quelques phrases prononcées à un moment imprégné d’une joie intense et d’une satisfaction que seuls le laboureur et le moissonneur peuvent éprouver
Et c’est à ce moment où, partout ailleurs, domineraient la fierté et l’orgueil, le sentiment d’une dure conquête et d’une possession légitime, que le paysan juif s’incline devant son D.ieu et dit humblement : « Mes ancêtres ont été esclaves en Egypte, D.ieu les a libérés, nous n’avions ni terre ni bonheur, D.ieu nous les a donnés». C’est en gardant conscience de ses origines misérables, de la glorieuse épopée de sa naissance nationale et de l’Alliance qui fut le ciment de l’édifice de l’indépendance juive, que le peuple pourra conserver la seule attitude qui lui garantira son avenir.
Chaque année il se présentera au Temple, la tête haute, les épaules fortes, animé d’un magnifique souffle de confiance et d’espoir, sachant qu’il n’a pas failli à son devoir et que cette certitude le conduira vers des lendemains clairs et ensoleillés.
La conscience du paysan devait encore s’affermir par la scrupuleuse obéissance aux lois sur les pauvres. Tout un système de répartition de ces dons a été établi. Relevons tout simplement le passage typique de celui qui a accompli ses devoirs de paysan juif, et qui déclare devant D.ieu : «J’ai fait vivre à mes côtés le lévite, l’étranger, l’orphelin et la veuve… je n’ai pas transgressé Tes lois, je ne les point oubliées… ».
Rabbi Abraham Saba donne, une interprétation toute différente de la signification de la mitsva des prémices. Pour lui, il y a un rapport immédiat entre le passage consacré au souvenir d’Amalek et celui de la présente mitsva. Ce rapport est exprimé dans la qualification du peuple d’Amalek, qui est caractérisé dans la prophétie de Bilaam (Nombres 24,20) : la première des nations à attaquer Israël par pur antisémitisme fut Amalek.
Or, l’époque à laquelle intervint le devoir de livrer une guerre de destruction à Amalek se situe après la conquête et le partage du pays (Sanhedrine 20 b). C’est à cette même époque que commence l’obligation d’offrir avec joie et allégresse «les prémices» des fruits de la nouvelle récolte. Cette offrande, qui appartient aux prêtres (Nombres 18,13), représente en quelque sorte un défi à Amalek.
Présentée annuellement entre Chavouot et Souccot, elle semble vouloir dire à travers les paroles de celui qui l’offre : « Je déclare en ce jour que je suis arrivé dans le pays que D.ieu a promis à nos pères de nous donner ».
(adapté a partir de la Voix de la Torah)